Archives pour mars 2014

Bio Réjane Michel

Réjane Michel

Diplômée de l’EDHEC (Ecole des Hautes Etudes Commerciales du Nord) en 1994, Réjane Michel travaille pendant 20 ans dans la production de films.
Elle a produit notamment le film documentaire La danse, l’art de la rencontre de Dominique Hervieu et José Montalvo – Arte France 2007, le film documentaire de Souad Kettani Musiques  – Téléssonne  2009, le court-métrage de fiction de Laurent Larivière Les larmes – France Télévisions  2010 et Giacomino, premier long métrage d’Alessandro Comodin, qui a reçu une reconnaissance internationale.
En 2013, elle rejoint le Studio-Théâtre de Vitry en tant que chargée d’administration. En 2015, elle en devient l’administratrice.

Bio Stéphanie

Stéphanie Béghain

Elle a suivi une formation d’actrice après avoir interrompu sa scolarité, à Toulouse, puis à Paris au conservatoire. Poursuit sa formation depuis 20 ans au sein d’institutions ou de compagnies de théâtre et de théâtre de rue (Arche de Noé, 3BC compagnie, Éclat Immédiat et Durable, Lala Farcette) en pratiquant la tragédie, la danse, l’enseignement. D’abord engagée comme lectrice de manuscrits au Théâtre National de la Colline, Stéphanie Béghain est actrice dans les spectacles d’Alain Françon (E. Bond, D. Danis, M. Mayenburg), André Wilms (B. Srbljanovic), Christophe Perton (M. N’Diaye). Elle crée avec Joris Lacoste 9 lyriques pour actrice et caisse claire et participe à la création de sa pièce Purgatoire. A coréalisé, avec Olivier Nourisson, Hodinos, médailliste anatomanisé (œuvre écrite par E.J. Hodinos à l’hôpital psychiatrique de Maison-Blanche à la fin du XIXe siècle), puis x=us avec le Collectif B/N qui est une digression sur le texte en ancien français de Perceval de Chrétien de Troyes. Stéphanie commence mais n’achève pas le projet de Théâtre Permanent (Les Justes-A.Camus, Lorenzaccio-A.de Musset) de Gwenaël Morin aux Laboratoires d’Aubervilliers. Depuis huit ans, elle réalise avec les patients et soignants de l’hôpital de jour de Bondy, un atelier de lecture qui ouvre ses portes au public deux fois par an.
Elle lit régulièrement dans des bibliothèques, librairies, hôpitaux, théâtres, musées, radios, des textes de théâtre ou non. Participe à la réalisation du film Salaud d’argent ; si je t’oublie Jérusalem avec le groupe Boris Barnet au sein de la Coordination des Intermittents et Précaires. Avec Isabelle Gressier et Olivier Derousseau, fabrique la pièce Et la terre se transmet comme la langue : c’est un poème de Mahmoud Darwich et une maison. Depuis 2013 elle anime le comité des lecteurs du Studio-Théâtre de Vitry.

Bio Jérémy

Jérémy Tourneur

Jérémy Tourneur est né en 1984 en région parisienne. Après des études de Médiation Culturelle à la Faculté de Paris 3 il a commencé son cursus professionnel dans le réseau des musiques actuelles. Il a travaillé notamment au sein de l’association « Musiques Tangentes » à Malakoff ainsi qu’au « Tremplin » à Ivry-sur-Seine en tant que chargé d’accueil et de la communication. Il travaille au Studio-Théâtre depuis juin 2009.

Presse Aveugles VERONIQUE HOTTE

Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, mise en scène et scénographie de Daniel Jeanneteau, collaboration artistique Jean-Louis Coulloc’h
BLOG DE VERONIQUE HOTTE – 31/01/2014

Brume et cornes de brume maritime assourdies dans le lointain, tintements rituels de cloches de petites chapelles, gazouillis inquiétants ou stridulations d’oiseaux sauvages, basses de frôlements d’ailes furtives, claquements de portes métalliques et de bois, la campagne, la mer et le vent ont rendez-vous avec Les Aveugles de Maeterlinck auxquels Daniel Jeanneteau accorde une lumière souveraine à l’intérieur d’une scénographie savante. Avec la confusion des apparences – silhouettes et visages indistincts – et dans une impression d’humidité prégnante alors qu’il fait bon, le spectateur se réveille dans un matin d’hiver âcre ou un soir d’automne incertain.

Où sont les acteurs qu’on ne sépare pas du public ? Chacun a voix au chapitre pourtant, tout à côté de soi ou plus loin, dans la perspective opposée.

«  Il fait extraordinairement sombre, malgré le clair de lune qui, çà et là, s’efforce d’écarter un moment les ténèbres des feuillages », Maeterlinck pose ainsi son décor au début de la pièce. Et si Daniel Jeanneteau installe le public dans un brouillard épais que de subtiles pluies de lumière révèlent au milieu d’un fouillis de chaises éparses en attente des spectateurs, c’est pour mieux répondre à l’harmonie épouvantée et sombre de l’œuvre du symboliste. La prose poétique de Maeterlinck est gravée dans la nuit impénétrable de la nature et de ses éléments, un cadre originel qui inquiète les hommes en altérant pensées, sentiments et simple plaisir d’être. La présence ténébreuse dont il est question et qui se manifeste à travers les bruits feutrés et assourdis de ces êtres fragiles que sont les personnages du théâtre de Maeterlinck, n’est autre que la mort. Or, il s’agit de résister individuellement à la fixité de l’énergie glacée par le néant, en retrouvant au-delà de la solitude, la communauté des humains avec échanges et partages d’une parole humble.

Pour le groupe soudé, l’image d’un nouveau-né qui peut-être voit la lumière est porteuse d’espérance et d’avenir.

C’est de l’incertitude même que naît l’élévation de la pensée comme la poésie de la vie.

La mise en scène propose l’expérience singulière des « étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable », ces sensations existentielles caractéristiques d’une écriture pleine de mystère et d’inquiétude.

La situation dramaturgique est métaphorique : six hommes et six femmes aveugles se trouvent, le temps d’une balade, sur des versants boisés insulaires, conduits par un prêtre qui disparaît mortellement. La tension collective et individuelle monte pour cette raison que tous sont perdus dans un jour énigmatique sans soleil ; ils sont non seulement privés de lumière mais aussi de guide.

Dès le moment où nous naissons au monde, « longtemps encore, toujours peut-être, nous ne serons que de précaires et fortuites lueurs, abandonnées sans dessein appréciable à tous les souffles d’une nuit indifférente ». Voilà le matériau du vivant édicté par l’auteur sur lequel travaille de façon constructive l’art du metteur en scène, accompagné pour ce paysage sonore insolite du concepteur Alain Mahé, en collaboration avec l’Ircam.

À côté du registre des sons, le souffle universel est cette respiration qui anime les êtres et leur donne à la fois l’air, l’âme et la vie. L’épreuve est organique, du mot « organum » qui renvoie à la musique vocale polyphonique.

Aussi, la représentation des Aveugles est-elle appréhendée comme une partition de silences et de mots, de répétitions, de cris confus et de respirations, qui provoquent un espace et un volume de froid d’où surgissent visions et sensations.

Le spectacle vivant, à la manière d’un espace végétal, un morceau de lande et de littoral, instille de l’oxygène à l’espace et au temps de ce théâtre singulier, en mettant à nu le sentiment de pleinement exister.

Est-ce l’art, l’instrument fabriqué, qui imite la nature avec les voix humaines et les sons quotidiens ? Ou bien est-ce la nature qui imite l’art ? Personne n’échappe à ce vertige bienfaisant d’exister que revivifie la représentation.

Tous les comédiens distillent une présence juste, différenciée et solitaire, des êtres frappés et embellis par la souffrance du métier de vivre, des amateurs et des professionnels, dont Stéphanie Béghain et Jean-Louis Coulloch, entre autres.

Presse Aveugles Jean-Pierre Han

Un théâtre de la pensée et de la sensation
FRICTIONS- 06/02/2014
Par Jean-Pierre Han

Avec son poème dramatique, Les Aveugles, Maurice Maeterlinck n’hésite pas à mettre à la question le théâtre qui est, comme chacun sait, l’art du regard. Il le fait aussi bien au plan de sa formulation avec, pour commencer, son titre explicite, qu’au plan de son contenu. Il s’agit en effet de l’« histoire » de douze aveugles (six hommes et six femmes), de toutes conditions et de tous âges, aveugles de naissance, par accident ou à la suite d’une maladie : l’humanité entière, en fin de compte, est représentée… Un vieux prêtre qui guidait le groupe dans une très ancienne forêt « à l’aspect éternel, sous un ciel étoilé » est mort parmi eux, mais ceux-ci ne le savent pas encore et attendent son retour pour pouvoir regagner leur hospice. Pour l’heure, ils sont perdus. Quant à l’ « histoire », il n’y en a pour ainsi dire aucune. Nous n’avons que des phrases ou fragments de phrases émis par les uns et les autres, à peine des dialogues ou des répliques, juste des voix émergents du crépuscule, polyphonie trouée de silences. Du langage amené à son point d’extinction comme le fera Samuel Beckett plus d’un demi-siècle plus tard (Les Aveugles datent des années 1890)… Il va de soi que presque toutes les représentations de cette pièce mettent l’accent sur l’obscurité ambiante, renvoyant ainsi le spectateur à l’absence de vue accablant les personnages. Daniel Jeanneteau qui a longtemps été le scénographe attitré de Claude Régy, a donc travaillé avec lui sur La Mort de Tintagiles de l’auteur belge, expérimentant avec lui toutes les nuances de l’obscurité et du noir, renverse dans sa mise en scène – c’est bien là tout ce qui fait sa valeur et son originalité, sa force aussi – la proposition initiale. Le spectateur découvre tout à coup que l’absence de vision, la cécité, ne sont pas forcément liées au noir. La lumière blanche portée à son point d’incandescence peut aussi aveugler. Oui, la lumière aveugle ! Elle est ici signée Anne Vaglio qui joue à merveille des intensités lumineuses blanches. Et Jeanneteau poursuit son renversement : ce ne sont plus les douze aveugles qui ne voient pas, mais bel et bien nous autres spectateurs. Le glissement des uns aux autres est particulièrement marquant. À l’entame du spectacle nous sommes invités à pénétrer dans un lieu qu’une épaisse nappe de fumée blanche rend impossible à identifier. Il y a là des chaises contre lesquelles il faudra éviter d’aller cogner ; elles sont posées dans tous les sens, selon aucune logique discernable. Cela et rien d’autre. Vous comportant en véritable aveugle, le pas mal assuré, vous vous accrochez à l’une d’entre elles, établissant avec soulagement votre dérisoire territoire et attendez que les choses –le spectacle ? – commence vraiment, alors qu’il est déjà commencé depuis votre entrée dans ce lieu… blanc, mais vous ne le saviez pas encore.

D’autres personnes s’installent sur les chaises, devant, derrière, à côté de vous… Les aveugles sont là, mais qui est aveugle ? En réalité les comédiens sont dispersés çà et là, à vos côtés, derrière ou un peu plus loin. Vous leur attribuerez cette fonction parce qu’ils se lèvent, s’agitent et prennent la parole, et vous finissez par reconnaître quelques professionnels parmi eux ; Jean-Louis Coulloc’h, Stéphanie Béghain, Benoit Résillot… mais fondus avec les amateurs qui participent à l’aventure proposée par Daniel Jeanneteau. Ils sont tous au même diapason, formidables… Une étrange tension s’établit accentuée par le discret mais très efficace environnement sonore et musical d’Alain Mahé. C’est vous qui êtes perdus dans ce lieu sans perspective, où surtout il n’y a pas de scène, ou alors celle-ci est partout ; c’est la scène du monde. C’est admirable parce qu’il y a là une véritable pensée sur le théâtre, sur sa matière, ses espaces dans lesquels les corps trouvent leur place adéquate et l’énergie pour se mouvoir, et devenir les réceptacles parfaits de toutes les sensations. Un théâtre de la pensée et de la sensation qui met en jeu le spectateur, la chose est assez rare par les temps qui courent pour nécessité de mise en exergue.

Presse Aveugles Joëlle Gayot

Les Aveugles
LA VIE – 13/02/2014
Par Joëlle Gayot

Blotti au cœur de pavillons, dans la banlieue sud de Paris, le Studio-Théâtre de Vitry, dirigé par Daniel Jeanneteau, a toujours été le lieu d’expériences singulières. La dernière création(en tournée) de ce metteur en scène, sur un texte de Maeterlinck,ne déroge pas à la règle. Si l’argument est mince – 12 aveugles,perdus dans la nature, attendent,en vain, le retour d’un prêtre qui leur sert de guide –, la représentation est un voyage déroutant hors des limites de la raison. Assis parmi le public, dans une salle envahie par un brouillard opaque, les acteurs prennent la parole. Leur attente, leurs peurs, leurs doutes deviennent nôtres. Saisis par la tension des interprètes, nous fermons les yeux pour mieux écouter ces bruits qui peuplent la cécité des personnages : souffle du vent,crissements de pas, rugissement de l’orage, pleurs d’enfants. Ce que nous vivons alors est au plus près de leur angoisse.

Presse Aveugles Catherine Robert

Les Aveugles
LA TERRASSE – 24/01/2014
Par Catherine Robert

Plongée sensorielle dans la cécité, le spectacle de Daniel Jeanneteau donne à vivre, mieux encore qu’à voir ou entendre, le texte de Maeterlinck. La salle est emplie d’une épaisse fumée, des chaises sont disposées de façon à offrir aux spectateurs, qui les rejoignent à tâtons, différents points de vue, si tant est qu’on parvienne à percer le brouillard. On discerne d’abord le profil de son voisin, puis le regard étonné d’un autre, installé un peu plus loin, mais rien ne distingue les comédiens des spectateurs, ni le costume, ni la posture. Habile installation dans la situation des personnages du poème dramatique de Maeterlinck : douze aveugles sont assis dans un paysage incertain, sur une île, où ils ont été relégués. Le public figure les éléments de cet endroit mystérieux, et les comédiens circulent entre les chaises avec la précaution de maladroits sans repères. La création sonore d’Alain Mahé, conçue en collaboration avec l’Ircam et Sylvain Cadars, et qu’accompagne Mieko Miyazaki, offre à l’oreille ce qui manque à la vue. Cris d’oiseaux, bruits d’un clocher lointain et de la mer dangereusement  proche, bruissement des feuilles mortes se détachent sur un fond inquiétant ou surprenant, qui place le spectateur dans le même état que les aveugles, entre peur de l’inconnu et rassurance fragile des souvenirs familiers.

Amener l’irreprésentable au jour

Parabole idéaliste, la quête de ces aveugles, victimes d’apparences qu’ils ne déchiffrent pas, pourrait rappeler l’état des prisonniers de l’allégorie de la Caverne. Mais point de philosophe guidant les malhabiles sur le chemin de la vérité chez Maeterlinck : le prêtre qui a mené les aveugles jusqu’à ce lieu inconnu est mort. Le troupeau est d’autant plus perdu que le berger est défunt. Le spiritualisme pessimiste qui se dégage des discours de ces égarés est d’autant plus poignant que le seul espoir de clairvoyance est celui du bébé de la folle. L’enfant voit mais ne sait pas voir ; ceux qui ont vu un jour ne s’en souviennent plus ; ceux qui distinguent encore un peu les contours des choses confondent la chaleur du soleil et la caresse de la lune. Telle est la condition humaine. Le spectateur le comprend, rassuré sans doute de savoir que la lumière va bientôt revenir, mais évidemment renvoyé à ses propres égarements et à son intime obscurité. La scénographie joue très habilement de la spatialité des adresses, de la tessiture et du rythme des voix et de la mélodie poétique du texte. Les comédiens sont époustouflants de justesse et de précision, et forcent, par leurs talents conjugués, à une écoute recueillie. L’ensemble compose un spectacle intelligent et sensible, humble et audacieux, qui fait entendre, avec une rare acuité, le texte de Maurice Maeterlinck.

Presse Aveugles Hugues Le Tanneur

Les Aveugles lumineux de Daniel Jeanneteau
LES INROCKUPTIBLES – 07/02/2014
Par Hugues Le Tanneur

Servi par une mise en scène sobre et efficace, le texte de Maeterlinck nous confronte au vertige d’une errance au bord de l’inconnu. Une méditation aux accents métaphysiques sur la fragilité de l’existence humaine.

Ils ne savent pas où ils sont. Seule la voix leur permet d’établir le contact les uns avec les autres pour s’assurer qu’ils sont bien tous ensemble. Enveloppés dans la brume, les spectateurs ont eux-mêmes éprouvé cette perte des repères le temps de tâtonner à la recherche d’une chaise où s’asseoir. Acteurs et spectateurs mélangés partagent le même espace.En montant Les Aveugles de Maeterlinck, Daniel Jeanneteau cerne au plus près ces hommes et ces femmes angoissés en quête d’une voie perdue, tous sens en éveil hormis celui de la vue. Un prêtre les guidait, mais il est mort. Sans cet homme, qui voyait en quelque sorte à leur place, ces non-voyants affrontent le vertige de leur condition.

Le monde a perdu ses contours. Le moindre bruit, le moindre frémissement se charge aussitôt d’une richesse de significations inouïe. La présence du mort parmi eux accentue la tension palpable. Une anxiété métaphysique imprègne l’atmosphère.

Interprété par des amateurs et des acteurs professionnels, ce spectacle est en soi une expérience. Immergé dans cette opacité trouée par les voix d’une communauté inquiète, il est impossible de ne pas ressentir comme une suspension abyssale au bord de l’inconnu. Soudain, on touche de près à la fragilité constitutive de toute destinée humaine. Sensation fugitive qui nous frôle avec le frémissement d’une aile de chauve-souris.

Presse Aveugles Jean-Pierre Thibaudat

« Les Aveugles » de Maeterlinck au Studio-théâtre de Vitry : l’œil écoute, l’oreille voit
THÉÂTRE ET BALAGAN / RUE89 – 26/01/2014
Par Jean-Pierre Thibaudat

Quand le public, massé à l’entrée du petit pavillon de banlieue par lequel on accède à la salle du Studio-Théâtre de Vitry, est invité à entrer, chacun se retrouve seul, dans un brouillard blanc intense, ouatant les choses au bord de l’invisibilité.

Devant moi, une forêt de chaises disposées dans tous les sens, sans logique et ordre apparents. Le pas malhabile, précautionneux j’avance comme à l’aveugle dans cet espace étrange et finit par choisir une chaise et m’asseoir.

Un instant je pense à Pina Bausch avançant les yeux fermés au milieu des chaises du « Café Müller », son partenaire écartant les chaises devant elle pour ne pas qu’elle se cogne.

Le prêtre et les aveugles en promenade

Je suis assis, je vois relativement bien à un ou deux mètres, plus loin le monde s’estompe. Alors dans ce silence blanc et apaisant (nulle appréhension ou angoisse comme en procure l’intense obscurité), des corps assis en attente, se font entendre, venus du sol, du ciel(lumineusement blanc), de loin, les bruits à la fois liquides et métallique et puis, en alternance, des grondements coupés de sourdes trompes.

Puis viendront les paroles, celles de la pièce la plus déroutante de Maurice Maeterlinck, « Les Aveugles ».

La pièce se déroule, au sein d’une île, « vers le fond de la nuit » écrit l’auteur, dans une forêt ancestrale. Un vieux prêtre a emmené les aveugles d’un hospice à la promenade. Certains nés aveugles, d’autres pas, vieux ou sans âge, une jeune dont « la chevelure inonde tout son être », une folle dans une « attitude de démence muette » portant « un petit enfant endormi » sur les genoux. Il est l’heure de rentrer mais le vieux prêtre ne répond pas, ne vient pas, ne viendra pas, il est mort, les aveugles le comprendront quand l’un d’entre eux touchera son corps.

Il m’arrive de fermer les yeux

« Il fait extraordinairement sombre », écrit Maeterlinck même si le clair de lune écarte parfois « les ténèbres des feuillages ». Quand un metteur en scène s’aventure à monter « Les Aveugles », ici et là de par le monde, c’est souvent en optant pour une sombre pénombre.En passant du noir au blanc, Daniel Jeanneteau (mise en scène, scénographie) déréalise le propos. D’une part, les aveugles, nous le verrons plus loin, ne jouent pas les aveugles (sauf un, celui qui est sourd et qui est peut-être vraiment aveugle, l’incertitude persistera jusqu’au salut).

D’autre part, c’est le spectateur qui se trouve dans une position d’aveuglée si l« on peut dire.Devant lui, il voit d’autres spectateurs regardant dans tous les sens. Il n’y a donc pas de scène unique où porter son regard. Sa vision est comme à la fois perdue et éperdue, il n’y a rien à voir mais tout à entendre. “ L’œil écoute ”, disait Claudel et l’oreille voit. Le bruissement de feuilles, lamer que l’on entend. Il m’arrive de fermer les yeux, de m’aveugler pour rejoindre, tout mon corps tendu à l’écoute des sons et musiques (Alain Mahé en collaboration avec Sylvain Cadars de l’Ircam) et des voix.

Ce sont d’abord des voix sans visages. Au loin. Et puis plus proches. Une femme assise derrière moi, sur le côté, parle. Vais-je tourner la tête, la regarder ? Non. La voix de la femme aveugle me suffit, me remplit. Fascinante dialectique entre celle qui parle sans voir à qui elle s’adresse et celui qui l’écoute sans vouloir la voir.

Quand Duras revient par la fenêtre

Écoutons l’un des douze, c’est “ la plus vieille aveugle ”, elle parle du vieux prêtre :

“ Je ne sais ce qui est arrivé. Il voulait absolument sortir aujourd’hui. Il disait qu’il voulait voir l’Ile, une dernière fois, sous le soleil, avant l’hiver. Il paraît que l’hiver sera très long et très froid et que les glaces viennent déjà du Nord. Il était très inquiet ; on dit que les grands orages de ces jours passés ont gonflé le fleuve et que toutes les digues sont ébranlées. Il disait aussi que la mer l’effrayait… ”

Ce phrasé, ce jeu des temps, ces balancements… Oui, bon dieu mais c’est bien sûr, on dirait du Marguerite Duras ! Je ne me souviens pas avoir lu ou entendu l’auteur du “ Ravissement de Lol V Stein ” mentionner le théâtre de Maeterlinck. Influences ? Inavouées ? Revenons à Vitry.

Il fait chaud dans cette atmosphère opaque qui rappelle pourtant celle d’un jour (toujours court) d’hiver au milieu de la taïga. A ma gauche, je devine un corps de femme. J’ai ôté depuis longtemps mon manteau, elle enlève maintenant lentement un chiffon blanc. Je ne la regarde pas, elle ne dit rien, elle doit écouter plus que voir comme moi et pourtant, je pressens qu’elle est de l’autre côté, dans le monde des actrices et des aveugles. Elle n’a pas bougé mais son corps s’est comme rétracté, alors que le mien, comme celui des autres spectateurs, est comme projeté en avant. Bientôt elle se lèvera, ne dira rien, son pull blanc deviendra un enfant qui pleurniche, c’est l’aveugle folle, l’actrice Stéphanie Béghain.

L’île du Studio-theâtre de Vitry

Cette extraordinaire traversée sonore et visuelle de la pièce de Maeterlinck réunit des acteurs de grande force comme Stéphanie Béghain et Jean-Louis Coulloc’h (qui a travaillé en tandem avec Daniel Jeanneteau sur ce spectacle) mais aussi des amateurs venant des ateliers libres du Studio-théâtre de Vitry. Comme si, dans l’île des “ Aveugles ”, Daniel Jeanneteau et son équipe tressaient ensemble tous les fils constituant le tissu du Studio-théâtre de Vitry.

Un théâtre qui n’a pas de programmation régulière, ni de saison, mais s’ouvre de temps en temps à la création de spectacles répétés souvent surplace, à la recherche, au temps de la maturation lente ou au jaillissement immédiat. Ce n’est pas une maison fermée mais un laboratoire de recherche et d’accueil ouvert tous les jours. Ateliers, répétitions, ouvertes, comité de lectures. Les habitants de Vitry sont chez eux dans cet îlot théâtral. C’est de cette ouverture que viennent les comédiens amateurs du spectacle mêlés aux professionnels. Un feuilletage qui vient parachever la déstabilisation sensorielle du spectateur, sa perte de repères. Nous sommes tous peu ou prou des aveugles.

Car ce qui se joue aussi dans la mort du prêtre, du voyant, du guide suprême, c’est à la fois le recours à soi-même et l’impérieuse nécessité de l’autre, du groupe, du partage. De faire bloc, front. Le vieil aveugle dit :

“ Voilà des années et des années que nous sommes ensemble, et nous ne nous sommes jamais aperçus ! On dirait que nous sommes toujours seuls ! Il faut voir pour aimer.”

Peu à peu, les corps et les voix des aveugles se rapprochent, l’espace qui semblait gigantesque par le son se resserre par la vue, ils sont là autour de nous, parmi nous, ils ont des yeux ouverts de voyants et ne nous voient pas comme le voyant dans la forêt cherche au-delà des arbres la lumière d’un sentier. On cherche leur regard mais il est comme absenté, parti en voyage. Chaque aveugle regarde sans le voir l’enfant de la folle,visage de l’espoir, un enfant à peine né qui voit sans voir.

Presse Aveugles Odile Quirot

L’obsédante lumière des « Aveugles »
LE NOUVEL OBSERVATEUR – 14/02/2014
Par Odile Quirot

On ne voit presque rien, puisque le spectateur est plongé dans la brume, et on éprouve le trouble des « Aveugles », et la beauté simple et vibrante de la pièce de Maurice Maeterlinck que met en scène Daniel Jeanneteau avec une infinie délicatesse.

Des hommes et femmes aveugles égarés sur une île tâtonnent dans leur obscurité, s’appellent. Ils sont, écrit Maurice Maeterlinck dans « Une très ancienne forêt septentrionale, d’aspect éternel sous un ciel profondément étoilé(…)De grands arbres funéraires,des ifs, des saules pleureurs, des cyprès, les couvrent de leurs ombres fidèles ». Ils ont quitté leur Institut, ils ont suivi le vieux prêtre, qui est mort sur le chemin, ils vont le découvrir.Seul un voyant peut les guider. Parmi eux, ce seul voyant est l’enfant,encore un nourrisson, d’une aveugle un peu folle. Alors ils l’élèvent au dessus d’eux, et ils demandent du fond de leur nuit : « De quel côté regarde-t-il? ».

« Les Aveugles » est une pièce brève tel un conte obsédant où la mort rôde, une parabole hantée de silences sur le destin, le néant. Les pauvres paroles de ces « Aveugles » sont bruissantes, aiguisées, bouleversantes de simplicité, brèves et intenses. D’où vient le vent, le bruit de la mer, un gémissement, le craquement d’une feuille gelée, et où, cette voix?  » Voilà des années et des années que nous sommes ensemble, et nous ne nous sommes jamais aperçus! On dirait que nous sommes toujours seuls!…Il faut voir pour aimer.. » dit le plus vieil aveugle.

La pièce a été crée en décembre 1891 par Lugné-Poe. Il y a quelques années, le québécois Denis Marleau en a donné une version saisissante: les mots émanaient de visages comme suspendus dans l’obscurité. Le metteur en scène Daniel Jeanneteau, qui est aussi un excellent scénographe – il a longtemps travaillé avec Claude Régy – a imaginé un espace empli de brume blanche opaque, où le spectateur pénètre à tâtons, devine des chaises blanches où il a été prévenu qu’il lui fallait s’asseoir. On obéit, on devine à peine ses voisins, on ne verra pas venir combien le gris, l’obscurité, gagne doucement sur la blancheur.

On les entend d’abord, ces aveugles, certains sont assis, les silhouettes des autres émergent, ou non, on le sent se déplacer lentement, sans bruit, on perçoit soudain derrière soi une présence, une main qui tâtonne. On ferme les yeux, involontairement,tant ces voix résonnent en nous, très profondément, et de même les quelques sons qui hantent l’espace (une création d’Alain Mahé).

On éprouve cette terreur sourde des aveugles, on sent le froid, la nuit, l’angoisse et les éclats d’amour, et les variations d’intensité: « Je vois parfois des ombres quand vous êtes au soleil » dit l’un. L’autre se souvient avoir perçu un jour une ligne d’un bleu profond, était-ce de la lumière? On croit toucher, comme eux soudain, quelque chose de froid: le visage du prêtre mort. Et ce qui est très beau c’est que les acteurs réunis par Daniel Jeanneteau (amateurs et professionnels, dont Jean-Louis Coulloc’h) parlent sans pathos, sans « théâtre », de manière presque étale, précautionneuse, au rythme de l’incertitude de leurs pas.

On ne voit rien et on voit tout, derrière les apparences. Au mot spectateur, on peut substituer celui de participant, immobile, consentant, captivé mais pas captif. « Les Aveugles » n’ont rien d’une cérémonie secrète pour initiés, et beaucoup de la très belle expérience humaine, avec et sous la peau du réel et des mots.

Presse Aveugles Fabienne Darge

Maeterlinck explore les zones brumeuses de l’âme
LE MONDE – 29.01.2014
Par Fabienne Darge

Il est bon que le théâtre mène vers le mystère et l’inconnu, parfois. Et, sur ce chemin, quel meilleur guide que Maurice Maeterlinck ? Le grand poète symboliste belge (1862-1949) connaît une postérité étrange. Son succès à l’opéra, notamment avec Pelléas et Mélisande, a quelque peu éclipsé son théâtre si particulier, qui emmène vers les zones obscures et brumeuses de l’âme, « où sévissent les étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable », où se tapissent les peurs archaïques, comme dans les contes.

De loin en loin, un metteur en scène, à l’instar de Claude Régy, ose s’aventurer sur ces terres à la beauté austère et grandiose comme celle d’une lande nordique. C’est le cas de Daniel Jeanneteau, qui présente, dans son Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine (et avant le Centquatre), des Aveugles qui rendent tout à fait justice à l’art de Maeterlinck, dans leur intensité et leur simplicité d’approche.

Daniel Jeanneteau a d’abord été scénographe : c’est lui qui, pendant des années, a inventé pour Claude Régy ces espaces qui, pour être vides, n’en palpitaient pas moins de mille puissances mystérieuses, notamment quand celui-ci a mis en scène Intérieur et La Mort de Tintagiles, de Maeterlinck.Daniel Jeanneteau est donc un metteur en scène-scénographe, chez qui le dispositif et l’espace sont au cœur de la mise en scène, comme dans ces Aveugles où l’installation proposée acquiert au fil de la représentation la force de l’évidence.

PAS DE SCÈNE

Vous entrez donc, vous, spectateur, dans une salle noyée dans le brouillard,où sont disposées, comme à la diable, des chaises blanches. Pas de scène.Vous vous asseyez, un peu au hasard, et, rapidement, des voix s’élèvent, qui disent le poème dramatique de Maeterlinck.

Les acteurs sont au milieu de vous, spectateurs, dans cette brume épaisse où vous ne distinguez que vos voisins immédiats, dans un halo d’irréalité.Qui sont les aveugles ? Les « personnages » qu’ils incarnent, ces acteurs, ou vous-mêmes, qui êtes placés par Daniel Jeanneteau dans la même situation que les « héros » de Maeterlinck : un groupe d’aveugles, donc, perdus dans la nature, et qui ne sait pas encore que le prêtre qui les guidait est mort parmi eux ?

Rien de plus simple, et de plus vertigineux, que cette polyphonie de voix,dont le mystère est renforcé par le travail sonore, tout en stridences étouffées, effectué par le compositeur Alain Mahé. Les dialogues de Maeterlinck sont, eux aussi, extrêmement simples – le poète disait : « Il n’y a guère que les paroles qui semblent inutiles qui comptent dans une œuvre : c’est en elles que se cache son âme. » Mais la peur, la mort, la solitude s’y glissent dans leur expression la plus pure et la plus primitive.

TERREURS COMMUNES ET PARTAGÉES

Malgré leur terreau commun, il serait faux de voir en Daniel Jeanneteau un disciple de Claude Régy. Le metteur en scène s’est fortement différencié du maître, sur la question du jeu, beaucoup plus naturel, sans pour autant être naturaliste, que celui développé par Régy. C’est important, car cela rapproche Maeterlinck de nous, en l’inscrivant dans des terreurs communes et partagées, dans cet espace qui crée justement une communauté tout en préservant la solitude de chacun. Et ce jeu est parfaitement tenu par le groupe d’acteurs, où se mélangent des professionnels comme Jean-Louis Coulloc’h (le formidable garde-chasse du Lady Chatterley de Pascale Ferran), Solène Arbel, Stéphanie Béghain ou Benoît Résillot, et des amateurs.C’est peu de dire qu’on sort troublé, remué, de ces Aveugles, après qu’a résonné, dans l’espace où le brouillard a peu à peu fait place à la nuit, le dernier cri de la jeune aveugle : « Qui est là ? » Qui est là, quelles forces obscures et invisibles, dans le « tragique quotidien » de Maurice Maeterlinck ?

Revue de presse aveugles

Revue de presse des AVEUGLES

 

Maeterlinck explore les zones brumeuses de l’âme
LE MONDE – 29.01.2014
Par Fabienne Darge

L’obsédante lumière des « Aveugles »
LE NOUVEL OBSERVATEUR – 14/02/2014
Par Odile Quirot

« Les Aveugles » de Maeterlinck au Studio-théâtre de Vitry : l’œil écoute, l’oreille voit
THÉÂTRE ET BALAGAN / RUE89 – 26/01/2014
Par Jean-Pierre Thibaudat

Les Aveugles lumineux de Daniel Jeanneteau
LES INROCKUPTIBLES – 07/02/2014
Par Hugues Le Tanneur

Les Aveugles
LA TERRASSE – 24/01/2014
Par Catherine Robert

Les Aveugles
LA VIE – 13/02/2014
Par Joëlle Gayot

Un théâtre de la pensée et de la sensation
FRICTIONS- 06/02/2014
Par Jean-Pierre Han

Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, mise en scène et scénographie de Daniel Jeanneteau,
collaboration artistique Jean-Louis Coulloc’h
BLOG DE VERONIQUE HOTTE – 31/01/2014