LES AVEUGLES de Maurice Maeterlinck, mis en scène par Daniel Jeanneteau en collaboration avec Jean-Louis Coulloc’h, poursuivront leur aventure au Théâtre des Quartiers d’Ivry en mars 2015. Ce projet, né de l’expérience des ateliers libres du Studio-Théâtre, réunit une équipe de comédiens amateurs et professionnels. Dans un paysage sonore conçu par Alain Mahé en collaboration avec l’Ircam, douze aveugles attendent le retour d’un prêtre qui les a menés jusque là. Mais ce prêtre est mort parmi eux. Il est absent d’être mort. Les aveugles sont perdus, ils ne le savent pas encore…
Création au Studio-Théâtre de Vitry du 23 janvier au 3 février 2014
au Centquatre à Paris du 8 au 16 février 2014
à la Scène Watteau à Nogent-sur-Seine les 14 et 15 mars 2014
au Théâtre Jean-Vilar à Vitry-sur-Seine les 11 et 12 avril 2014
au Théâtre de l’Archipel à Perpignan les 15 et 16 novembre 2014
au Théâtre des Quartiers d’Ivry du 26 mars au 5 avril 2015
Les Aveugles
de Maurice Maeterlinck
mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau
collaboration artistique Jean-Louis Coulloc’h
création musicale et sonore Alain Mahé (in memoriam Gérard Grisey)
koto basse Mieko Miyazaki / koto Alain Mahé
régie son Géraldine Foucault
stagiaire son Quentin Auvray
lumière Anne Vaglio
régisseur lumière Grégory Vanheulle
ingénierie sonore et informatique musicale Ircam Sylvain Cadars
assistant Jérémy Tourneur
régie générale Pierre-Damien Crosson
attachée de presse Claire Amchin
avec
Ina Anastazya, Solène Arbel, Stéphanie Béghain, Pierrick Blondelet, Jean-Louis Coulloc’h, Geneviève de Buzelet, Estelle Gapp, Charles Poitevin, Gaëtan Sataghen, Benoît Résillot, Azzedine Salhi, Anne-Marie Simons
REVUE DE PRESSE
ENTRETIEN AVEC CLÉMENT ROSSET (ART PRESS)
DOSSIER DIFFUSION
production Studio-Théâtre de Vitry, coproduction Ircam-Centre Pompidou, avec l’aide à la production d’Arcadi Île-de-France
« Que cette épouvantable aventure des humains qui arrivent, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, que cette catastrophe qui les attend ne nous rende pas tendres et pitoyables les uns pour les autres, cela est incroyable. »
Albert Cohen, Ô vous, frères humains, Paris, Gallimard, 1972.
Douze aveugles en pleine nature attendent le retour d’un prêtre qui les a guidé jusque là. Mais ce prêtre est mort parmi eux. Il est absent d’être mort. Le dénouement est donné d’emblée au spectateur voyant, à l’insu des protagonistes aveugles : ils sont perdus, ils ne le savent pas encore.
Dans ce poème visionnaire et très simple, presque immobile, la seule action réside dans la lente découverte, par un groupe disparate de personnes traversées par les mêmes sensations, de leur solitude dans un monde qu’ils ne comprennent pas, et de l’imminence de leur disparition.
Agissant comme un piège pour l’imagination, la pièce produit l’effet d’un attentat, d’un acte brut : d’un coup, la mise à nu d’une vérité ultime, obscène, et pas de réponse. Un geste contemporain, indéfiniment contemporain de tout vivant.
« Tu vas mourir. » C’est tout.
De quoi regarder ce qui nous entoure autrement, et reconsidérer le prix de chaque chose. De quoi, peut-être, repenser la communauté.
Le texte est un entrelacs complexe de motifs simples, une partition précise de silences et de mots, de répétitions, de cris confus et de respirations. Il ne raconte rien, mais il produit de l’espace, du froid, du temps, un monde de visions affectant les sens.
Il appelle une mise en œuvre chorale de la parole, avec une attention particulière aux questions du son, de la spatialité des voix, des tessitures. Plus qu’une scénographie, il exige la constitution d’un véritable paysage de la voix, à travers l’expérience d’une perception de l’espace qui ne passe plus exclusivement par le visible.
Il demande aussi de réunir une communauté d’humains, à la fois non différenciés et solitaires, sans nom mais solidement incarnés, sans visages mais tous singuliers. Pas des acteurs, mais des personnes, c’est pour cela que nous avons proposé à Jean-Louis Coulloc’h, Benoît Résillot et Solène Arbel de nous rejoindre ; c’est pour cela que nous avons proposé à certains des amateurs qui fréquentent les ateliers du Studio-Théâtre de nous rejoindre également.
Sur scène, les seuls moyens à la disposition des interprètes résideront dans leur capacité d’imagination : pratiquement aucun geste, aucun déplacement, aucune interprétation. Pas de mise en scène, pas de jeu d’acteur, mais une grande force psychique, un cerveau actif et à l’affût, tirant de chaque mot, de chaque silence et du rythme commun, la faculté de produire de la réalité.
Daniel Jeanneteau, octobre 2012.
Le chatoiement nerveux de l’incertitude
Note sur la scénographie
Dans ce drame sans action, l’écriture se consacre à la traduction en mots, selon chacun des protagonistes, de ce qu’il perçoit du monde. Métaphore et symbole, la cécité est aussi l’origine d’une sensibilité parallèle, inexplicable et angoissée, à ce qui prolifère et se meut sous la surface des apparences.
La cécité elle-même connaît des nuances : d’aveugle-né en aveugle qui a déjà vu, qui a oublié ou qui se souvient d’avoir vu, qui perçoit certaines lueurs ou demeure dans les ténèbres, Maeterlinck établit toute une géographie du non-voir…
L’image, le visible, l’aspect extérieur des choses, sont abolis. C’est alors qu’un monde sans aspect, tout d’intériorité, se déploie dans leurs paroles en visions qui ne relèvent plus du visible, irreprésentables, et qu’il s’agit néanmoins de rendre réelles.
L’espace requis par le texte ne peut rien représenter ; c’est-à-dire rien d’autre que ce qui est nécessaire à son fonctionnement symbolique et sensible. La scénographie échappe d’emblée aux questions habituelles de la forme et du style.
A travers « LES AVEUGLES », Maeterlinck met en question, et de façon radicale, l’utilisation habituelle de l’image au théâtre, et demande de reconsidérer la scénographie selon sa plus authentique vocation : guider le regard vers de nouveaux espace de la conscience ; intérioriser les enjeux profonds qui pèsent sur les personnages en tissant de subtiles correspondances entre les êtres et leur environnement ; susciter des espaces dont la force émotionnelle et la beauté ne préexistent pas à la représentation, inadéquats quant au réalisme, mais élaborés selon une économie de l’imaginaire qui tend à placer dans l’esprit du spectateur le lieu réel de l’apparition. C’est un travail d’accompagnement à travers lequel le visible s’attacherait à féconder l’écoute.
Nous faisons le choix de ne rien traiter de ce qui relèverait du visible : pas de costumes, pas de décor, pas de lumières. Le dispositif mêlera le public et les acteurs en un groupe indifférencié, assis sur des chaises dans l’espace vide, sans direction privilégiée. Les voix émaneront de cet ensemble humain sans avoir été préalablement désignées. Anonymes. Il s’agira d’évoquer une humanité ordinaire, sans histoire, sans identité. Le travail du son, élaboré par Alain Mahé en collaboration avec l’Ircam, aura pour tâche de susciter autour des corps immobiles le mouvement du monde, de la nature, l’infini travail des forces invisibles qui agissent sur les vies. Tout contribuera à produire les images du spectacle dans l’esprit du spectateur, qui les verra d’autant plus précisément qu’il fermera les yeux…
D. J.
Fortuites lueurs
« Longtemps encore, à moins qu’une découverte décisive de la science n’atteigne le secret de la nature, à moins qu’une révélation venue d’un autre monde, par exemple une communication avec une planète plus ancienne et plus savante que la nôtre, ne nous apprenne enfin l’origine et le but de la vie, longtemps encore, toujours peut-être, nous ne serons que de précaires et fortuites lueurs, abandonnées sans dessein appréciable à tous les souffles d’une nuit indifférente. A peindre cette faiblesse immense et inutile, on se rapproche le plus de la vérité dernière et radicale de notre être, et, si des personnages qu’on livre ainsi à ce néant hostile, on parvient à tirer quelques gestes de grâce et de tendresse, quelques paroles de douceur, d’espérance fragile, de pitié et d’amour, on a fait ce qu’on peut humainement faire quand on transporte l’existence aux confins de cette grande vérité immobile qui glace l’énergie et le désir de vivre. »
Maurice Maeterlinck, Préface au théâtre.
Mare tenebrarum
« Il y a dans notre âme une mer intérieure, une effrayante et véritable mare tenebrarum où sévissent les étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable, et ce que nous parvenons à émettre en allume parfois quelque reflet d’étoile dans l’ébullition des vagues sombres.
Je me sens avant tout attiré par les gestes inconscients de l’être, qui passent leurs mains lumineuses à travers les créneaux de cette enceinte d’artifice où nous sommes enfermés.
Je voudrais étudier tout ce qui est informulé dans une existence, tout ce qui n’a pas d’expression dans la mort ou dans la vie, tout ce qui cherche une voix dans un cœur.
Je voudrais me pencher sur l’instinct, en son sens de lumière, sur les pressentiments, sur les facultés et les notions inexpliquées, négligées ou éteintes, sur les mobiles irraisonnés, sur les merveilles de la mort, sur les mystères du sommeil, où malgré la trop puissante influence des souvenirs diurnes, il nous est donné d’entrevoir, par moments, une lueur de l’être énigmatique, réel et primitif ; sur toutes les puissances inconnues de notre âme ; sur tous les moments où l’homme échappe à sa propre garde ; sur les secrets de l’enfance, si étrangement spiritualiste avec sa croyance au surnaturel, et si inquiétante avec ses rêves de terreur spontanée, comme si réellement nous venions d’une source d’épouvante… »
Maurice Maeterlinck, Confession d’un poète.
L’évangile de la perdition
Nous sommes perdus dans le cosmos. Ce cosmos formidable est lui-même voué à la perdition. Il est né, donc mortel. Il se disperse à vitesse folle, tandis que des astres se tamponnent, explosent, implosent. Notre soleil, qui succède à deux ou trois autres soleils défunts, se consumera. Tous les vivants sont jetés dans la vie sans l’avoir demandé, sont promis à la mort sans l’avoir désiré. Ils vivent entre néant et néant, le néant d’avant, le néant d’après, entourés de néant pendant. Ce ne sont pas seulement les individus qui sont perdus, mais, tôt ou tard, l’humanité, puis les ultimes traces de vie, plus tard la Terre. Le monde lui-même va vers sa mort, que ce soit par dispersion généralisée ou par retour implosif à l’origine… De la mort de ce monde un autre monde naîtra peut-être, mais le nôtre sera alors irrémédiablement mort. Notre monde est voué à la perdition. Nous sommes perdus.
Ce monde qui est le nôtre est très faible à la base, quasi inconsistant : il est né d’un accident, peut-être d’une désintégration de l’infini, à moins qu’on ne considère qu’il est issu du néant. De toute façon, la matière connue n’est qu’une infime partie de la réalité matérielle de l’univers, et la matière organisée n’est qu’une infime partie de cette infime partie. Ce sont les organisations entre entités matérielles, atomes, molécules, astres, êtres vivants, qui prennent consistance et réalité pour nos esprits ; ce sont les émergences qui surgissent de ces organisations, la vie, la conscience, la beauté, l’amour, qui, pour nous, ont de la valeur : mais ces émergences sont périssables, fugitives, comme la fleur qui s’épanouit, le rayonnement d’un visage, le temps d’un amour…
La vie, la conscience, l’amour, la vérité, la beauté sont éphémères. Ces émergences merveilleuses supposent des organisations d’organisations, des chances inouïes, et elles courent sans cesse des risques mortels. Pour nous, elles sont fondamentales, mais elles n’ont pas de fondement. Rien n’a de fondement absolu, tout procède en dernière ou première instance du sans-nom, du sans-forme. Tout naît dans la circonstance, et tout ce qui naît est promis à la mort.
Nous sommes dans l’aventure inconnue. L’insatisfaction qui relance l’itinérance ne saurait être assouvie par celle-ci. Nous devons assumer l’incertitude et l’inquiétude, nous devons assumer le dasein, le fait d’être là sans savoir pourquoi. Il y aura de plus en plus de sources d’angoisse, et il y aura besoin de plus en plus de participation, de ferveur, de fraternité qui seules savent non pas annihiler, mais refouler l’angoisse. L’amour est l’antidote, la riposte — non la réponse — à l’angoisse.
Edgard Morin, Terre-Patrie, Seuil, 1993.
Maurice Maeterlinck, écrivain belge d’expression française, est né à Gand le 29 août 1862 et mort à Nice le 5 mai 1949. Lauréat du Prix Nobel de littérature en 1911. Auteur emblématique du mouvement symboliste, il a profondément bouleversé l’écriture théâtrale de la fin du dix-neuvième siècle, en recentrant notamment les enjeux de la représentation sur les questions du psychisme et de la vie profonde, loin du naturalisme qui régnait sur les scènes de l’époque. Ses pièces courtes, toutes écrites avant 1900, et dont il disait qu’elles étaient destinées aux marionnettes, ont influencé, avec les théâtres d’Ibsen et de Strindberg, la plupart des grandes dramaturgies du vingtième siècle. Il est l’auteur de La Princesse Maleine, L’Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses, Pelléas et Mélisande (adapté en opéra par Claude Debussy), Alladine et Palomides, Intérieur, La Mort de Tintagiles, Aglavaine et Sélysette, L’Oiseau Bleu…
Daniel Jeanneteau. Après des études à Strasbourg aux Arts Décoratifs et à l’École du TNS, il rencontre le metteur en scène Claude Régy dont il conçoit les scénographies pendant une quinzaine d’années. Il travaille également avec de nombreux metteurs en scène et chorégraphes (Catherine Diverrès, Jean-Claude Gallotta, Alain Ollivier, Nicolas Leriche, Jean-Baptiste Sastre, Trisha Brown, Jean-François Sivadier, Pascal Rambert…) Depuis 2001, et parallèlement à son travail de scénographe, il se consacre à la création de ses propres spectacles, en collaboration avec Marie-Christine Soma. (Racine, Strindberg, Boulgakov, Sarah Kane, Martin Crimp, Labiche, Daniel Keene, Anja Hilling, Tennessee Williams). Daniel Jeanneteau dirige le Studio-Théâtre de Vitry depuis janvier 2008.
Jean-Louis Coulloc’h a joué au théâtre sous la direction de Jean-Claude Fall (Platonov d’Anton Tchekhov) ; Sylvie Jobert (le Charme et l’épouvante de Marcel Moreau) ; Thierry Bédard (Pathologie verbale) ; Claude Régy (Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, Mélancholia de Jon Fosse) ; François Tanguy (Choral, La Bataille du Tagliamento, Orphéon) ; Pierre Meunier (Le Tas, Les Égarés) ; Madeleine Louarn (La Légende de Saint-Triphine) ; Nadia Vonderheyden (Médée de Sénèque) ; Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma (Feux d’après August Stramm) ; Laurent Fréchuret (Médée de Sénèque) ; Sophie Langevin (Hiver de Jon Fosse) ; Benoit Giros, May Bouhada, (1939 au jour le jour). À la radio : La marée fait flotter les villes de Kay Mortley et Alain Mahé, France Culture. Au cinéma, courts-métrages : Synopsis de Florent Trochel ; Le début de l’hiver d’Eric Guiradeau ; Bake a cake d’Aliocha Allard. Longs métrages : Lady Chatterley, de Pascale Ferran ; Circuit Carole, d’Emmanuelle Cuault ; Skylab, de Julie Delpy ; Je suis un vagabond, de Charlie Najman. Il a participé également en 2006 au projet collectif Ultimo Round qui l’a emmené jusqu’à Valparaiso au Chili.
Alain Mahé. Compositeur, improvisateur, Alain Mahé développe des musiques électro-acoustiques et électroniques. Il crée le groupe Bohème de chic et depuis joue ou compose avec Jean-François Pauvros, Carlos Zingaro, Carol Robinson, Kamal Hamadache, Thierry Madiot, Pascal Battus, Emmanuelle Tat, Patrick Molard, Keyvan Chemirani, Hélène Breshant, Bao Luo… Compose La marée fait flotter les villes – Paul Klee. Il réalise des pièces radiophoniques : Chien de feu, La marée fait flotter les villes, (pour un) Paso Doble (sonore) avec Kaye Mortley. Alain Mahé compose musiques et créations sonores pour le spectacle vivant. Il travaille avec les metteurs en scène Francois Tanguy et les chorégraphes Carlotta Ikeda, Ko Murobushi, François Verret, le peintre Miquel Barcelò et Josef Nadj sur Paso doble, Nan Goldin sur Sœurs saintes & Sybilles. Il collabore aux spectacles de Pierre Meunier depuis 1999 : Le Chant du ressort, Le Tas, Les Egarés, Sexamor et Du fond des gorges.