Le rythme et la vie L’œuvre poétique d’Henri Meschonnic

Henri Meschonnic, poète, traducteur et linguiste est mort il y a un an. Son œuvre extrêmement riche est centrée sur les questions du poème, de l’oralité, du rythme. Ses traductions de la Bible ont transformé notre perception de ces textes fondateurs. Les Ouverture(s) d’avril lui seront consacrées et rendront hommage à son œuvre de poète. Nous aurons le plaisir d’accueillir Gérard Dessons, universitaire et collaborateur d’Henri Meschonnic, Dominique Reymond et Axel Bogousslavsky, comédiens, pour une lecture/débat autour des enjeux de la poésie et de la traduction. La Compagnie des Limbes, en résidence au Studio-Théâtre, présentera NOUS LE PASSAGE, spectacle mis en scène par Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin sur des poèmes d’Henri Meschonnic.


Le rythme et la vie

L’œuvre poétique d’Henri Meschonnic
au Studio-Théâtre

Vendredi 9 avril
20h30 : NOUS LE PASSAGE

Samedi 10 avril
18h : LECTURE/DEBAT avec Gérard Dessons, Dominique Reymond et Axel Bogousslavsky
20h30 : NOUS LE PASSAGE

Meschonnic
@ J. Torregano/Fédéphoto

Toute ma vie est dans mes poèmes, mes poèmes sont le langage de ma vie. C’est par eux que je vais d’inconnu en inconnu. Ils me font plus que je les fais. Et ils sont reconnus par ceux qui sont du même côté du langage, du même côté de la vie que moi. Un poème, pour moi ne raconte pas d’histoires. Mes poèmes sont les condensations du sens de ma vie. C’est pourquoi ils tiennent moins de place que le reste de mon travail, mais c’est eux qui me font traduire la Bible comme je traduis, qui me font penser le langage, la poésie, la traduction comme je fais. Pour moi, un poème est ce qui transforme la vie par le langage et le langage par la vie. C’est mon lieu, et je le partage.
Il ne faut pas beaucoup de mots pour transformer notre rapport au monde et à nous-mêmes. L’exemple le plus simple, ce serait, entre autres, il se trouve que c’est le premier qui me vient à l’esprit, un poème de Giuseppe Ungaretti, fait de deux mots :

M’illumino
d’immenso.
(Je m’illumine d’immense.)

La poésie doit transformer le monde, elle transforme notre rapport au monde ou elle n’est pas la poésie, mais une poétisation. Autrement dit, la poésie, c’est l’union maximale du langage et de la vie. Écrire un poème, c’est faire la vie. Lire un poème, c’est sentir la vie qui nous traverse et être transformé par lui.

Penser, écrire, c’est travailler à être libre, c’est-à-dire vivant.


nouslepassage
Henri Meschonnic (1932-2009) est né à Paris, de parents juifs russes venus de Bessarabie en 1924. Il y a ensuite la guerre et la traque. Puis des études de lettres. Un passage de huit mois dans la guerre d’Algérie en 1960. Premiers poèmes dans Europe en 1962 : Poèmes d’Algérie. Linguiste, il enseigne à l’Université de Lille de 1963 à 1968, puis, de 1969 à 1997, à Paris 8. Henri Meschonnic a reçu en 1986 le prix Mallarmé pour Voyageurs de la voix. Il était membre de l’Académie Mallarmé depuis 1987.

Il a rencontré le travail théâtral d’Antoine Vitez et de Claude Régy, a participé aux recherches de l’Académie Expérimentale des Théâtres et a orchestré le cahier intitulé Théâtre Oracle, N°189, 2008-2 de la revue Théâtre/Public paru en juin 2008.

Henri Meschonnic est surtout connu pour son travail de linguiste, de théoricien de la poétique et de la traduction. Citons, parmi son imposante bibliographie, les cinq volumes de Pour la poétique I/ Pour la poétique, II/ Epistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction, III/ Une parole écriture, IV/ Écrire Hugo, V/ Poésie sans réponse (Gallimard, 1970 à 1978); Le langage Heidegger (PUF, 1990); Critique du rythme (Verdier, 1982); Modernité modernité (Verdier, 1988); Poétique du traduire (Verdier, 1999); L’utopie du Juif (Desclée de Brouwer, 2001); Spinoza poème de la pensée (Maisonneuve & Larose, 2002); Un coup de Bible dans la philosophie (Bayard, 2004); Dans le bois de la langue (Laurence Teper, 2008); Pour sortir du postmoderne (Klincksieck, 2009).

Dans le domaine de la traduction, Henri Meschonnic a entrepris une nouvelle et magistrale traduction de la Bible dont on rappellera les volumes parus chez Desclée de Brouwer : Gloires, traduction des Psaumes (2001); Au commencement, traduction de la Genèse (2002); Les Noms, traduction de l’Exode (2003); Et il a appelé, traduction du Lévitique (2005); Dans le désert, traduction des Nombres (2008).

Henri Meschonnic est également l’auteur d’une œuvre poétique importante. Nourrie de ses recherches théoriques, elle frappe par une écriture libre et inspirée.
On citera : Dans nos recommencements (Gallimard, 1976); Légendaire chaque jour (Gallimard, 1979); Voyageurs de la voix (Verdier, 1985); Je n’ai pas tout entendu (Dumerchez, 2000); Infiniment à venir (Dumerchez, 2004); Tout entier visage (Arfuyen, 2009); Et la terre coule (Arfuyen, 2009); De monde en monde (Arfuyen, 2009). Un numéro spécial a été consacré par la revue Faire Part à l’œuvre d’Henri Meschonnic sous le titre Le Poème Meschonnic.


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Lecture/débat

Avec Gérard Dessons, Axel Bogousslavski et Dominique Reymond
Samedi 10 avril à 18h

Avec la voix, il s’agit du poème, et il s’agit déjà du théâtre. La voix contient tout le corps et tout le sens. Elle fait que ni le corps ni le sens n’existent l’un sans l’autre. En lisant on ressent, en écoutant on comprend. L’important, dans tous les cas, c’est d’entendre.
Le théâtre est ce moment particulier, moment de tous les risques, où la voix de l’acteur fait entendre la voix du poème, telles qu’ensemble elles s’inventent infiniment. La voix de l’acteur — celui qui acte la parole — s’informe du poème, naît à son dire. Quant à la voix du poème, elle n’est pas dans le poème comme une substance en attente d’être manifestée. Elle est du poème, au sens où elle en provient. La force d’un texte — et c’est bien en cela qu’il est poème — réside dans cette capacité de tendre les voix singulières — de l’auteur, de l’acteur — vers cette voix plurielle, impersonnelle, migrante qui devient le théâtre lui-même. Les poèmes d’Henri Meschonnic ont cette force de transformer ceux qui les lisent, qui les disent et qui les écoutent, en voyageurs de la voix.


Gérard Dessons est professeur de langue et littérature françaises à l’université Paris 8, où il travaille sur la poétique, la théorie du langage et la théorie de l’art. Il est membre du groupe Polart, poétique et politique de l’art.
Il a notamment publié Emile Benveniste, l’invention du discours (In press, 2006); Rembrandt, l’odeur de la peinture (Laurence Teper, 2006); Introduction à la poétique. Approche des théories de la littérature (Armand Colin, 2005); Maeterlinck, le théâtre du poème (Laurence Teper, 2005); L’Art et la manière. Art, littérature, langage (Honoré Champion, 2004); et, en collaboration avec Henri Meschonnic, Traité du rythme: des vers et des proses (Nathan, 1998).

Il est également l’auteur de Petite théorie du papier, Marano Vicentino, Pino Guzzonato, 2000; Lieux communs (dessins d’Odile Druhen), La Licorne, 1993; Mon rêve d’une femme assassinée (dessins d’Hervé Sornique), Cardinaux, 1988.

Axel Bogousslavsky a joué au théâtre dans la plupart des spectacles de Claude Régy et avec les metteurs en scène Bruno Bayen (Stella) ; Jean-Michel Rabeux ; Xavier Marchand (Au Bois lacté) ; Jean-Baptiste Sastre (L’Affaire de la rue de Lourcine, Tammerlan) ; Etienne Pommeret (Drames brefs) etc.
Avec Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, il a joué dans la Sonate des Spectres de Strindberg en 2003, dans Adam et Ève de Boulgakov en 2007 et dans Feux d’après August Stramm en 2008.
Au cinéma, il a joué notamment dans le film de Marguerite Duras Les Enfants et a tourné sous la direction de Manoel de Oliveira dans Mon cas.

Dominique Reymond, après avoir suivi les cours des Arts Décoratifs et du conservatoire Populaire de Genève, intègre le C.N.S.A.D. dans la classe d’Antoine Vitez. Avec lui, elle joue dans Falsch de René Kalisky, la Mouette d’Anton Tchekhov, le Héron de Vassili Axiomov, l’Échange de Paul Claudel. Elle travaille notamment sous la direction de : Jacques Lassalle, l’Heureux stratagème de Marivaux ; Bernard Sobel, la Ville de Paul Claudel, la Forêt d’Ostrovsky, Tartuffe de Molière ; Klaus–Michael Grüber, la Mort de Danton de Büchner ; Bruno Bayen, Weimarland ; Pascal Rambert, John & Mary, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare ; Sophie Loucachevsky, Phèdre de Marina Tsvetaeva ; Jacques Rebotier, l’Éloge de l’ombre ; Marie-Louise Bischofberger, Visites de Jon Fosse ; Luc Bondy, Une pièce espagnole de Yasmina Reza ; Marc Paquien, le Baladin du monde occidental de John Millington Synge; Manuel Rau, le Pélican d’August Strindberg… Avec Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, elle a joué dans Feux d’après August Stramm en 2008. Au cinéma, elle a joué entre autres dans Y aura-t-il de la neige à Noël et Il sera une fois de Sandrine Veysset, La naissance de l’amour de Philippe Garrel, Destinées sentimentales, Demon lover, et L’heure d’été d’Olivier Assayas.

lecturedebat
Nous le passage

poèmes d’Henri Meschonnic
mise en scène Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin
Vendredi 9 et samedi 10 à 20h30

avec
Solène Arbel
Romain Jarry
Brieuc Jeandeau
Martine Valette

Écriture voix/lumière : Johann Loiseau et Jean-Luc Petit
Création sonore : Jean-Marc Saint-Paul

Merci à Régine Blaig

Mettre en scène des poèmes d’Henri Meschonnic, c’est pour nous donner à entendre et à voir l’oralité, la corporalité de ce langage. Traduire ce que fait cette parole, et pas seulement ce qu’elle dit. Sentir le passage de la vie en nous, être à l’écoute de l’infime mouvement qui nous déplace, et nous transforme, à chaque instant. Envelopper scène et salle dans un climat intime et mouvant, mettre en relation la voix et la lumière.
Cette recherche nous invite à concevoir un dispositif scénique privilégiant l’écoute de la voix du poème à une théâtralité visuelle car au théâtre “c’est l’oreille qui voit, c’est ce qu’on donne à entendre qui fait qu’on visualise” (Henri Meschonnic, Le théâtre dans la voix, dans Penser la voix, La Licorne N°41, 1997).
Donner à entendre les échos, les résonances, d’un poème à l’autre, d’un recueil à l’autre, c’est mettre en scène la voix plurielle du poème, dont tous les acteurs sont les passeurs, jusque dans le silence. De même, le spectateur par son écoute devient coénonciateur de la voix du poème et par là-même acteur de la parole.

Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin

Production : Compagnie des Limbes, OARA – Office Artistique de la Région Aquitaine, TNT Manufacture de chaussures, IDDAC – Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel, Pôle Culturel Intercommunal des Anciens Abattoirs à Billères (84), Société bordelaise de CIC, Festival de Théâtre de Blaye et de l’Estuaire, Espace Jéliote – Oloron Sainte-Marie. La compagnie est subventionnée par le Conseil Régional d’Aquitaine, le Conseil Général de la Gironde et la Mairie de Bordeaux. Avec le soutien de l’UFR Arts et du Service Culturel de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3.


La Compagnie des Limbes a été fondée en 2001 par Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin. Elle est basée à Bordeaux.

« Des écritures appellent le théâtre. Parce qu’elles inventent un langage. Parce qu’elles transforment la représentation que nous avons du monde, le sens de notre vie. Parce qu’on y entend du corps, parce qu’on y entend une voix qu’on avait jamais entendue jusqu’alors. C’est pourquoi nous travaillons avec des poèmes, des romans plus qu’avec des pièces de théâtre. Peut-être pour donner à entendre et à voir que ce qui fait théâtre c’est d’abord le langage, l’énergie créatrice du langage, tout ce qui déborde la signification et qui ouvre sur l’invisible et l’inaudible du langage et de la vie.

Aussi différentes que soient les écritures avec lesquelles nous travaillons – Ghérasim Luca, Kurt Schwitters, Virginia Woolf, Jon Fosse, Henri Meschonnic, Arnaud Rykner -, chacune d’elle, de manière singulière, met en jeu ces questions : Qu’est-ce que vivre, comment vivre et comment dire/écrire. Chacune d’elle articule à sa façon dire et vivre. Chacune transforme à sa manière notre rapport au langage et à la vie.

À chaque aventure, nous rapprenons à lire, nous apprenons à écouter ce qu’un langage crée, à sentir la manière dont le mouvement de la parole s’organise, pour que la puissance de vie qu’invente une écriture se déploie à la scène et passe entre les acteurs et les spectateurs. A travers notre pratique du théâtre se dessine la recherche et la création d’un théâtre du poème. Un poème, entendu comme une activité qui transforme la vie par le langage et le langage par la vie, pour reprendre la définition d’Henri Meschonnic.

Le nom de notre compagnie – compagnie des Limbes – traduit bien notre idée du théâtre comme d’un espace par excellence ouvert et indéterminé où tout peut se passer, d’une expérience au-delà du vivant et du mort. Le caractère vague et incertain de l’état qu’on lui associe communément plutôt de manière péjorative : être dans les limbes, est ici l’état de possibilité de toute chose, indéfiniment naissante, infiniment disparaissante. Être et ne pas être, non pas successivement, mais en même temps : peut-être est-ce cela le théâtre des Limbes. »

Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin

Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin, comédiens et metteurs en scène. Formés au conservatoire de Bordeaux où ils ont notamment suivi l’enseignement de Pilar Anthony. Ils fondent la compagnie des Limbes en 2001 et mettent en scène, ensemble : Mues sur des textes d’Antonin Artaud, Ghérasim Luca et Kurt Schwitters en 2003, Hiver de Jon Fosse en 2005, Les Vagues de Virginia Woolf en 2006, Dépeçage de Kurt Schwitters en 2006, Vivre dans le secret et Matin et soir de Jon Fosse en 2007, No man’s langue poèmes de Ghérasim Luca, Écrire c’est créer un lieu ou on peut vivre, triptyque Jon Fosse en 2009. Projets à venir : Enfants Perdus d’Arnaud Rykner.