L’Affaire de la rue de Lourcine

En février 2008 nous avions créé avec les élèves du groupe XXXVII de l‘école du Théâtre National de Strasbourg le spectacle Les assassins de la Charbonnière d’après Kafka et Labiche. Nous le reprendrons au printemps 2010 sous le titre de L’Affaire de la rue de Lourcine, avec une distribution légèrement modifiée…


L’Affaire de la rue de Lourcine
(Les Assassins de la Charbonnière)

d’après Kafka et Labiche

spectacle créé en février 2008 dans le cadre de l’Ecole du TNS à Strasbourg

reprise 2010 :
du 23 au 26 février à la Maison de la Culture d’Amiens,
les 19 et 20 mars au Théâtre Jean-Vilar à Vitry-sur-Seine
du 29 mars au 24 avril au Théâtre de la Cité Internationale à Paris
en tournée à Douai, Istres, Creil et Reims

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D’après Journal de Franz Kafka,
traduit par Marthe Robert et L’affaire de la rue de Lourcine de Eugène Labiche

Mise en scène : Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau
Dramaturgie : Pauline Thimonnier
Assistanat à la mise en scène : Rémy Barché
Scénographie : Benjamin Moreau
Costumes : Héloïse Labrande
Lumières : Louise Gibaud
Son : Michaël Schaller
Régie Générale : Claire Gondrexon et Frédéric Gourdin

Avec
Caroline Arrouas
Jean-Charles Clichet
Marion Duphil
Adeline Guillot
Laure Gunther
Morgane Hainaut (version 2008)
Marie Raymond
Antoine Kahan
Alexandre Pallu
Gilian Petrovski
Antoine Philippot (version 2008)
Pierric Plathier (version 2008)
Sébastien Pouderoux
Maxime Kerzanet

Lorsqu’il se réveille en ce jour du vingtième anniversaire de l’érection de l’obélisque de Louqsor place de la Concorde, Lenglumé, ce bourgeois rentier, marié, rangé, ne sait plus – entre Odéon et rue de Provence – ce qu’il a fait la nuit d’avant. Un lendemain de fête douloureux. Une « lacune dans l’existence » qui ouvre à toutes les suppositions.

Une image dans le journal de Kafka, le 9 janvier 1920, apporte une sorte d’hypothèse de travail : « On lui a découpé dans le derrière de la tête un morceau de crâne affectant la forme d’un segment. Avec le soleil, le monde entier regarde à l’intérieur. Cela le rend nerveux, le distrait de son travail et il se fâche de devoir, lui précisément, être exclu du spectacle. »(1)

L’Affaire de la rue de Lourcine expose l’activité cérébrale de Lenglumé, les méandres de son inconscient, dévoilés à son insu… Au cours de la pièce, le personnage devient « lumineux et bientôt transparent » (2). Suite à la lecture d’un fait divers qui, par un malheureux concours de circonstances, semble l’associer au meurtre d’une « pauvre charbonnière », il accepte l’idée qu’il puisse être un assassin et se met à croire que tous l’observent, le manipulent ou le trahissent. Tous conscients de cette chose dont il s’accuse! Des démons qui le poursuivent. Un cauchemar peut-être.

La forme du Vaudeville, telle que la conçoit Labiche, se prête à ce genre de scénario infernal qui, par surenchère, provoque un rire de fou, collectif, violent et angoissé. Autour d’un personnage -le bourgeois- s’agitent toutes sorte de créatures serpentines : le domestique susceptible de traîtrise, la femme se permettant toutes les questions, le démon Potard qui souffle le chaud et le froid, le double instinct, Mistingue, ancien camarade de jeunesse, complice hasardeux de sa nuit… Lenglumé pourrait, comme le « Monsieur Goliadkine » du Double de Dostoïevski, en venir à penser : « Ils n’auraient pas été ensorcelés, tous, aujourd’hui? (…) Un démon qui leur est tombé dessus ! C’est clair, il a absolument dû leur arriver quelque chose, à tous, aujourd’hui. Que le diable m’emporte, mais quelle torture ! »(3)

Tout parait suspect. Et cela prête à rire. Ou plutôt, non. Comme dirait Kafka, « C’est infiniment triste, et ça vous laisse perplexe, parce que ça cherche à être gai… » (4).

Labiche n’a cessé d’explorer la mécanique du vaudeville, cette machine à réveiller les pulsions; lui-même disant que « pour faire une pièce gaie, il faut un bon estomac ». La machine élaborée par Kafka, avec son énergie, « humoristique, violente et gaie » selon les termes de Gilles Deleuze, il s’agit de féconder la matière condensée de Labiche pour la faire fructifier, la dilater, l’infiltrer de cette gaité profonde.

Pauline Thimonnier, janvier 2008

Notes

(1) Kafka, Journal, extrait du « 9 janvier 1920 », op. cit., p.513
(2) Soupault Philippe, Eugène Labiche, éd. Mercure de France, 1964.
(3) Dostoïevski, Le Double (1846), trad. André Markovicz, éd. Babel, 1998, pp. 108-109
(4) Kafka, Lettres à Miléna, trad. Alexandre Vialatte, éd. Gallimard – N.R.F., 1956

 

 

 
© Elisabeth Carecchio