La Sonate des spectres

La Sonate des spectres

Janvier 2003
Création au CDDB Théâtre de Lorient du 29 janvier au 6 février 2003
Tournée:
TGP St Denis du 24 février au 30 mars 2003
et à la Maison de la Culture d’Amiens, au Cargo à Grenoble

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De August Strindberg

Traduction : Terje Sinding

Mise en scène et scénographie : Daniel Jeanneteau
Collaboration artistique et lumière : Marie-Christine Soma
Images vidéo : Raymonde Couvreu
Costumes : Isabelle Perillat
Son : Olivier Renouf
Assistante scénographe : Constance Arizzoli
Réalisation des costumes : Laurence Révillon et Marie-Françoise Thomas
Orgue : Pierre Pfister
Décor réalisé dans les ateliers du Théâtre Gérard Philippe sous la direction de Alain Denisse
Bouddha réalisé par : Philippe Eustachon

Avec :
Gaël Baron
Michel Baudinat
Hubertus Biermann
Axel Bogousslavsky
Catherine Corringer
Nolwenn Le Du
Marie Vayssière

et en video :
Clotilde Mollet
Andrée Tainsy
Pierre Palmi
Geoffrey Carey
Coproduction : CDDB – Théâtre de Lorient, Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis – Centre dramatique national, Le Cargo – Maison de la Culture de Grenoble, La Part du vent – Cie Daniel Jeanneteau

« Dans ce drame onirique, l’auteur a cherché à imiter la forme incohérente, en apparence logique, du rêve. Tout peut arriver, tout est possible et vraiment vraisemblable. Le temps et l’espace n’existent pas. Sur un fond de réalité insignifiant, l’imagination brode de nouveaux motifs : un mélange de souvenirs, d’événements vécus, de de libres inventions, d’absurdités et d’improvisations. Les personnage se doublent, se dédoublent, s’évaporent et se condensent. Mais une conscience les domine tous, celle du rêveur. Pour lui, il n’y a pas de secrets, pas d’inconséquences, pas de scrupules, pas de lois. Il ne juge pas, il n’acquitte pas, il relate seulement… »

August Strindberg

« Cela va mieux, parce que j’ai lu Strindberg (« Seul »). Je ne le lis pas pour le lire, mais pour me blottir sur sa poitrine. Il me tiens comme si j’étais un enfant, sur le bras gauche. J’y reste assis comme un être humain sur une statue. Dix fois, je manque de dégringoler. Mais à la onzième tentative je suis bien assis, je suis en sécurité et je vois de haut. »

Kafka, Journal

Strindberg écrivait vite et dans un certain désordre.
Il semble s’être approché de très près de la folie.
En lisant son oeuvre, on devine un être perdu dans une sorte de flot sans forme, une conscience luttant pour ne pas se dissoudre, férocement attachée à sauver le sentiment si fragile, si menacé, de son identité.
Le thème du procès de l’âme, la mise en doute de la réalité, de la consistance, de l’autonomie de l’être par un tiers au regard corrosif, dangereusement lucide, revient d’oeuvre en oeuvre pour culminer dans La Sonate.
Il n’a cessé de s’interroger sur les notions illusoires de caractère, d’identité, dénonçant les simulacres de la vie en société, s’accusant lui-même, désespérant – on le voit dans ses journaux – de trouver une cohérence à ses propres mouvements intérieurs.
Pourtant, il serait faux de ne voir dans l’étonnante liberté de son théâtre que la trace de sa folie.
Il invente, il inaugure des formes et des concepts tout à fait nouveaux, dans tous les domaines de la création, avec opiniâtreté, courage, mais aussi une sorte de fraîcheur, une bonne volonté parfois désarmante.
La Sonate des Spectres est l’une de ses dernières pièces. Il a 58 ans quand il l’écrit, en 1907. Il mourra cinq ans plus tard, d’un cancer de l’estomac.
On dirait une pièce de débutant. Comment expliquer ce qu’il ose proposer, cette étrange construction, cette apparence d’incohérence, ce dérapage complet, cette catastrophe.
À ce moment de sa vie, il est fatigué, usé de se battre pour exister, pour se faire admettre malgré son inaltérable singularité.
On dirait que dans cette pièce, peut-être pour la première fois, il s’abandonne, il cède sans plus se soucier de ressembler à quelque chose.
La pièce prend la forme de la pensée la plus secrète, la moins formulée.
Quelque chose qui n’est presque plus destiné à être vu ce que l’on est quand personne ne nous regarde. Sans façon.
Presque pas d’élaboration. Pas de poésie. Pas de psychologie.Une lucidité d’enfant, une fraîcheur dans le désespoir.
Parce que je crois que Strindberg n’a jamais cessé d’être un enfant. Récriminant contre ce qu’il a toujours vécu comme une injustice, cette incapacité du monde à l’accueillir tel qu’il était.
Jon Fosse dit que « l’oeuvre en sait plus que l’auteur ». La Sonate est un exemple d’oeuvre à la profondeur inexplicable, que Strindberg lui-même regardait avec étonnement et respect.
Écrite en quelques jours pour le Théâtre Intime qu’il venait de créer avec August Falck, il réalise avec La Sonate plus qu’avec tout autre pièce son idéal de théâtre de chambre, sur le modèle de la musique de Beethoven qu’il admirait particulièrement.
Le titre de la pièce lui a d’ailleurs été inspiré par le trio pour piano en ré majeur de Beethoven dit Gespenstersonate.
Nous voudrions tenter de rendre sensible dans la contiguïté, dans le tissu de la représentation, de plans de conscience tout à fait étrangers les uns aux autres, mais constamment contraints à l’échange, au dialogue malaisé de ce qui n’existe pas de la même façon.
On ne sait ce qui est vrai, ce qui existe, ce qui est rêvé, et surtout qui rêve qui, qui est le rêve de qui. De brusques changements de registre d’expression, des absurdités dans le scénario, une dérive phobique de l’argument, en font une sorte d’ectoplasme de tragi-comédie absolument en-dehors des conventions, drôle et inquiétante, jamais tout à fait étrangère, jamais vraiment reconnaissable.

Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau

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