Et la terre se transmet comme la langue

En septembre nous accueillons en résidence Stéphanie Béghain, Olivier Derousseau et Isabelle Gressier qui viendront poursuivre au Studio-Théâtre un long processus de recherche et de création portant sur l’œuvre du poète de Palestine Mahmoud Darwich. Sensibles à la nécessité du geste théâtral que manifeste leur recherche, nous souhaitons faire du Studio une étape dans ce parcours.

« La maison est plus belle que le chemin de la maison.
En dépit de la trahison des fleurs. »

Mahmoud Darwich


vendredi 28 septembre à 20h
samedi 29 septembre à 20h
dimanche 30 septembre à 16h
lundi 1er octobre à 20h

Et la terre se transmet comme la langue

poème de Mahmoud Darwich (Au dernier soir sur cette terre, Éditions Actes Sud)
traduction Elias Sanbar

par
Stéphanie Béghain
Olivier Derousseau
Isabelle Gressier

production Studio-Théâtre de Vitry, Association 1&1
avec le soutien de La Fonderie-Le Mans / Théâtre du Radeau
remerciements à Mohamed El Baz, Christophe Boulanger, Savine Faupin, Eyal Sivan, Bintou Sylla, Elise Vallois, Mariangela Gasparotto, Marc Pérennes.


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Nous aussi nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Mahmoud Darwich

Au tout-parlant de la poésie romantique et au tout-visible de la machine information monde, il faut opposer la solitude de la parole, sa seule résonance affrontant le mutisme de la terre.
Jacques Rancière

Et la terre se transmet comme la langue » est le titre français d’un poème de Mahmoud Darwich, écrivain de Palestine. Écrit en 1989 à Paris (pendant la Première Intifada) et traduit en 1990 par Élias Sanbar, il est publié dans le recueil AU DERNIER SOIR SUR CETTE TERRE, chez Acte Sud.

L’abord de ce texte demeure délicat. Nous sommes convaincus à ce jour que ce poème a besoin de lieux qu’il puisse habiter. Habiter peut ici vouloir dire “se tenir sur des seuils”. Ce poème est paradoxalement une prose qui emprunte ses formes à la métrique versifiée, au chant, et à la langue parlée. Il semble que son coeur vacillant nous guide, de seuil en seuil, vers un arrière pays peuplé d’évidences oubliées, de vieux morts qui vivants ou endormis — enfants, combattants, voyageurs, héros, martyrs, croyants — rentraient en terre de Palestine.

Darwich est un athlète formidable, consciencieux, aimable, lucide, érudit et désespéré. Sa radicalité ne tient pas dans l’invention “d’une langue”, ni dans une conception moderne de l’écrit, mais vient d’un trait calme et douloureux et d’une position intenable : avoir affirmé la nécessité du poème par delà la représentation politique d’une cause ô combien juste ; passer de la figure du poète palestinien au poète de Palestine. Et rejoindre la tradition des Vaincus.

“Cet enfer est l’enfer, ils ont appris à faire pousser la menthe dans leurs chemises”.

Notre souci commence par une exigence : travailler à imprimer un texte depuis une scène dont la figuration ne peut faire entendre et montrer que le mutisme et la solitude de l’histoire. Aucune guerre, pas d’arme, aucune vocifération mais des lambeaux ou fichus cousus par une voix qui avance, et avance à l’image de quelqu’un qui du lointain ne cesse d’arriver. Cette voix, celle de Stéphanie Béghain, tente de rendre ses visions au poème. Nous souhaitons repousser les
évidences pensant que le théâtre n’est ni une scène de parole, ni une chaîne d’actions, ni une scène de parole prise dans une chaîne d’actions. Mais un lieu où un public ou une audience serait invité à devenir le sujet d’un retard.

“Tu diras : Non. Tu déchireras les mots et le fleuve indolent, tu annonceras les mauvais jours et disparaîtras sous les ombrages. Non au théâtre du verbe. Non aux limites de ce rêve. Non à l’impossible.”

Il y a des arrières mondes sensibles qui tout en apparaissant disjoints, nous donnent à saisir l’histoire comme une suite de possibilités oubliées. Donner aux absents une image ; celle du retour et du rêve d’un retour. “Une mémoire pour l’oubli” écrivait-il dans Beyrouth assiégé. Le poème commence par “ils sont rentrés” et se termine par “et rêvaient et rentraient”.


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« Ils sont rentrés
Au terme du long tunnel à leur miroir, et rentrés
Quand solitaires ou rassemblés, ont retrouvé le sel de leurs frères et délaissé
Les légendes de la défense des places pour l’ordinaire des mots
Ils ne lèveront plus s’ils veulent, mains ou bannières aux miracles
Ils sont rentrés célébrer l’eau de leur existence, et ordonner cet éther
Marier leurs fils à leurs filles, faire danser un corps dans le marbre estompé
Suspendre à leurs plafonds tresses d’oignons, cornes grecques et ail pour l’hiver
Traire les pis de leurs chèvres et nuages qui ont coulé des livrées des colombes
Ils sont rentrés aux confins de leur obsession, à la géographie de la magie divine
Au tapis de feuilles de bananier dans la terre des tracés anciens
Une montagne sur la mer

Derrière les souvenirs deux lacs
Un littoral pour les prophètes

Et une rue pour les parfums de l’oranger. Aucun mal n’a atteint le pays (…) »

Mahmoud Darwich « Et la terre se transmet comme la langue »,
in « Au dernier soir sur cette terre », Ed. Actes Sud


Mahmoud Darwich, né le 13 mars 1941 à Al-Birwah en Galilée (Palestine sous mandat britannique) et mort le 9 août 2008 à Houston (Texas, États-Unis), est une des figures de proue de la poésie palestinienne.

Profondément engagé dans la lutte de son peuple, il ne cesse pour autant jamais d’espérer la paix et sa renommée dépasse largement les frontières de son pays. Il est le président de l’Union des écrivains palestiniens. Il publie plus de vingt volumes de poésie, sept livres en prose et est rédacteur de plusieurs publications, comme Al-jadid, Al-fajr, Shu’un filistiniyya et Al-Karmel. Il est reconnu internationalement pour sa poésie qui se concentre sur sa nostalgie de la patrie perdue. Ses oeuvres lui valent de multiples récompenses et il est publié dans au moins vingt-deux langues.

Il est connu pour son engagement au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Élu membre du comité exécutif de l’OLP en 1987, il quitte l’organisation en 1993 pour protester contre les accords d’Oslo. Après plus de trente ans de vie en exil, il peut rentrer sous conditions en Palestine, où il s’installe à Ramallah.


Stéphanie Béghain a suivi une formation d’actrice après avoir interrompu sa scolarité, à Toulouse, puis à Paris au conservatoire. Poursuit sa formation depuis 20 ans au sein d’institutions ou de compagnies de théâtre et de théâtre de rue (Arche de Noé, 3BC compagnie, Éclat Immédiat et Durable, Lala Farcette) en pratiquant la tragédie, la danse, l’enseignement. D’abord engagée comme lectrice de manuscrits au Théâtre National de la Colline, Stéphanie Béghain est actrice dans les spectacles d’Alain Françon (E. Bond, D. Danis, M. Mayenburg), André Wilms (B. Srbljanovic), Christophe Perton (M. N’Diaye). Elle crée avec Joris Lacoste 9 lyriques pour actrice et caisse claire et participe à la création de sa pièce Purgatoire. A coréalisé, avec Olivier Nourisson, Hodinos, médailliste anatomanisé (oeuvre écrite par E.J. Hodinos à l’hôpital psychiatrique de Maison-Blanche à la fin du XIXe siècle), puis x=us avec le Collectif B/N qui est une digression sur le texte en ancien français de Perceval de Chrétien de Troyes. Stéphanie commence mais n’achève pas le projet de Théâtre Permanent (Les Justes-A.Camus, Lorenzaccio-A.de Musset) de Gwenaël Morin aux Laboratoires d’Aubervilliers. Depuis huit ans, elle réalise avec les patients et soignants de l’hôpital de jour de Bondy, un atelier de lecture qui ouvre ses portes au public deux fois par an.
Elle lit régulièrement dans des bibliothèques, librairies, hôpitaux, théâtres, musées, radios, des textes de théâtre ou non. Participe à la réalisation du film Salaud d’argent ; si je t’oublie Jérusalem avec le groupe Boris Barnet au sein de la Coordination des Intermittents et Précaires. Avec Isabelle Gressier et Olivier Derousseau, fabrique la pièce Et la terre se transmet comme la langue : c’est un poème de Mahmoud Darwich et une maison.

Olivier Derousseau
Suite à une scolarité faite d’ennui, de désoeuvrement et d’amour embryonnaire mais fantasmé, Olivier obtient son bac avec trois ans de retard. Devient acteur de théâtre puis de rue (Collectif Organum), passe neuf mois en compagnie de la Parole Errante, cinq ans à pratiquer la danse, accroche des oeuvres au Musée d’Art Moderne de Villeneuve d’Ascq, mène des ateliers avec des petits vieux, des enfants, des jeunes universitaires et les acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche. Il rencontre l’Art brut & les écrits bruts à l’occasion de la donation de la collection Aracine au M.A.M. (désormais le LaM). Fabrique son premier film Bruit de fond, une place sur la terre en compagnie de son frère Grégory alors employé à Décathlon & de Nathalie Nambot, alors actrice, dans une colère et une honte irrépressible ; écrit si l’occasion se présente (revues Persistance, Alice, Chimère, Catalogue Habiter Poétiquement ). Ayant contribué dans la joie à l’arrêt du festival d’Avignon en 2003 (victoire à la Pyrrhus), il a réalisé depuis quelques films d’importance ; considère que le cinéma aura été la grande affaire du XXe siècle. Participe au Groupe Boris Barnet, collectif de fabrication & de projections de films, né à la CIP-IDF. Il s’apprête à reprendre Et la terre se transmet comme la langue de Mahmoud Darwich à Vitry-sur-Seine avec Stéphanie Béghain & Isabelle Gressier – retour au premier amour.

Isabelle Gressier
Après le spectacle de rue de 1990 à 1995, je suis rentrée dans les salles pour réaliser, avec différentes compagnies de théâtre, des scénographies se situant entre l’installation et les arts visuels. J’ai également collaboré à la conception et la réalisation d’expositions thématiques (Early man on a modern Road en 2009 ; Soit-dit-en passant en 2006 et en 2008). J’ai aussi en qualité de scénographe, travaillé avec différents artistes, pour la mise en place de leurs expositions. Mon domaine de prédilection est la photographie. Je travaille en noir et blanc argentique, et développe mes tirages qui sont généralement de grands formats. C’est une recherche autour du thème de la mémoire et de sa “matérialisation”. Je réalise également des vidéos s’intégrant à cette recherche.
J’édite depuis une année un journal sur l’actualité de mon travail.
http://i.gressier.free.fr/