Lazare, ce fut d’abord Passé je ne sais où qui revient, un texte que nous avions reçu, Sabine Quiriconi et moi, à l’intention du Comité des Lecteurs du Studio-Théâtre de Vitry, ignorant alors tout de son auteur.
Cette lecture fut pour toutes les deux un choc : choc face à une écriture totalement singulière, dont nous nous sommes immédiatement dit qu’elle était profondément liée à un travail scénique, tant le corps et la chair des acteurs transparaissaient entre les lignes ; écriture à la structure éclatée, kaléidoscopique, hors de toute convention, et surtout mue par une intense nécessité ; choc enfin devant les thèmes abordés, l’origine, la guerre d’Algérie, le langage, tout cela mêlé de manière absolument organique. En un mot : un texte de théâtre, où l’on sent que la scène est le lieu où mettre en tension et peut-être éclairer des questionnements paradoxaux, un texte pour jouer, « un appel à poursuivre le jeu de la vie ; appel à se mouvoir et à danser à côté de son destin ; accolé à lui. » (Daniel Sibony, Le Jeu et la passe)
Bien loin d’une autofiction complaisante, Passé je ne sais où qui revient, comme une sorte d’autoportrait en jeu cubiste et chaotique, et d’une surprenante vitalité, nous a donné envie de faire partager cette lecture aux membres du Comité de Lecteurs, de rencontrer Lazare, puis d’aller voir sa mise en scène à l’Échangeur de Bagnolet.
De cette rencontre, tout aussi étonnante et détonante que le texte, est né le désir de poursuivre plus loin le dialogue entamé, et de soutenir la prochaine création de Lazare.
Marie-Christine Soma, novembre 2009
du lundi 15 au jeudi 18 juillet 2013 – Festival d’Avignon – Tinel de la Chartreuse
jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2013 – Le Trident – Cherbourg
jeudi 21 et vendredi 22 novembre 2013 – Bois de l’Aune – Aix en Provence
du mercredi 4 au vendredi 6 décembre 2013 – TNBA – Bordeaux
Au pied du mur sans porte
Texte et mise en scène de Lazare
Résidence de création au Studio-Théâtre en janvier et février 2010
représentations :
vendredi 19 février à 20h30
samedi 20 février à 20h30
dimanche 21 février à 16h00
lundi 22 février à 20h30
avec
Jean-Pierre Baro
Anne Baudoux
Julien Lacroix
Claude Merlin
Mourad Musset
Claire-Monique Scherer
et les musiciens
Benjamin Colin
Frank Williams
Composition sonore : Benjamin Colin
Lumière : Bruno Brinas
Conseil chorégraphique : Marion Faure
Conseil scénographique: Marguerite Bordat
Production : Studio-Théâtre de Vitry, Compagnie Vita Nova.
Avec la participation exceptionnelle de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication.
PROJET D’ECRITURE
« L’homme est aveugle, sourd, fragile comme un mur
Qu’abrite et que ronge un insecte. »
Charles Baudelaire
Ce qu’il y a d’étonnant dans le seul fait de marcher dans une immensité jamais inactive
Invité au printemps dernier à venir partager les derniers jours d’un quartier de Bagneux voué à la démolition, sur une invitation du festival Auteurs en actes, j’ai résidé pendant une semaine dans la cour de l’école primaire de la cité des Tertres.
Sous le préau de l’école, j’ai croisé des amis d’enfance, écouté des parents, des enfants, des institutrices. Dialogues ordinaires au milieu d’une immensité jamais inactive. Exploration du monde de l’enfance.
Au cours de cette résidence, j’ai pu établir, esquisser les principales problématiques de la pièce. Inventaire de « petits » problèmes, ceux de chacun, hésitant, s’approchant ou s’éloignant de sa vérité, avec la crainte des uns et l’espérance des autres ; « petits » problèmes auxquels on ne prête pas attention, où se trouvent la subtilité de la haine, du mépris et de l’amour des hommes.
« Les mots quelques fois nous parlent plus solennellement de l’être et de sa destiné. »
Maeterlinck
Fantasme de résumé
Un enfant au fond de la classe avec de « grosses difficultés » perd toujours toutes ses affaires.
Derrière le mur, un chemin, il l’emprunte et s’initie, touche de ses mains les limites de ce qui fait un homme…
Le chemin qui mène à l’école fait école. Les rencontres sont des lumières, ou assombries, des envoûtements, une série d’épreuves ; les magiciens sont des rebouteux, les toxicos roulent en trottinette et les maîtresses sont dictées…
Sur le tableau sont écrits les mots absents : piège, liberté, esclavage.
L’enfant ferme son cahier, sort et fait de ces mots les pierres à fouler d’un homme qui va et ne sait où.
Le regard jeté en arrière au delà de la certitude : Hypermnésie
En guise de trajectoire, je travaille toujours ma chute de feuille d’automne.
Chute continue avec les vents brusques de la violence, avec des bruits de famille partout où nous passons. Par là je suis déjà passé, j’ai à me battre avec ma mémoire Tout ce que nous n’avons pas su dire quand nous sommes passés par là.
Vielles godasses trouées que peuvent être nos vies : être libre serait peut-être ne se souvenir de rien.
Tendre le cou vers la vie et essayer d’ouvrir la fenêtre du monde / Frapper à la porte de ce que nous sommes / Nul autre paysage que les murs d’une cité et ce goût passionné de l’écriture et de l’obstacle / Yeux mélancoliques, voilà l’endroit et le lieu, les détails de ce monde avec des instants lunaires.
Nous entendons jusque dans nos rêves, là bas, derrière ce rideau de béton de la vie oppressée d’où il me faut extraire la beauté.
Au pied du mur sans porte
MÉTAPHYSIQUE D’UN ANALPHABÈTE
Là, de l’autre coté de la porte, sur le seuil de la vie, un frère mort.
Imbéciles, nous sortons du nid où nous avions rêvé le monde et à peine nous dévalons la pente qu’il nous faut des béquilles.
Infirmes, aveugles, il faut nous mettre sur le chemin.
Marcher sur la cime de la pensée quand tout nous enferme dans une coquille.
Un homme nous salue de la main et montre : « Ces arbres sont des arbres en général. »
Toutes choses toujours pareilles aux autres, langue blindée qui parle pour ne pas parler !
Me voici, sale, minable à ma vingtième année, étouffant mes pas.
En une inspiration l’univers entier s’est figé.
Homme qui remue ciel et terre sans rien toucher !
Je vais échouer comme le songe le long des cités, géantes de béton prêtes à s’effondrer.
Elles s’effritent, s’émiettent, tombent et continuent de tomber sur mon dos.
Au ciel s’amoncellent des nuages, tout est triste et rose, le murmure des prières ne m’envole pas sur leurs tapis.
Plein de came, je suis comme une suite qui ne viendra pas.
L’air même est devenu policier. Les murs voisins contrôlent et regardent.
Une porte trouée de balles sous la peau et personne qui ne me tire dessus.
Septembre est un mois terrible où les enfants rentrent à l’école ! Ils tordent leurs doigts, marchent le long des malédictions, sous leurs cartables trop lourds, chantent afin de délier le sort.
De ce coté de la rue, les bruits sont coupés au couteau, je tourne la tête devant les portes du Carrefour qui réclame la grandeur idéale et vous prescrit un check-up à la machine à fric.
Rien au dedans de rien.
Dans mon vêtement d’ombre, au milieu du troupeau, je ne trouve rien, j ai plein mon cœur d’incendie.
À la marge
IL N’EST PLUS POSSIBLE DE PERDRE
« Les animaux se tassent pour éviter d’imaginaires prédateurs »… et pièges.
Roland Barthes
Au seuil d’un monde normé, s’éprouve l’exclusion inhérente à un système dogmatique qui procède par élimination.
Écrire : s’attaquer à ce principe de marginalisation qui réduit l’autre au silence.
Combien d’entre nous sont restés assis jusqu’à ce qu’on ne puisse plus leur répondre au pied d’une porte ?
Avec l’essor de la volonté à réveiller l’avenir / aux yeux des autres quand toutes les portes claquent sur nous / tandis que les araignées de la patience tissent leur toiles grises / Que faire de cette blessure narcissique qui nous étrangle ?
Décider de s’absenter, constituer un monde et une économie parallèles.
L’ailleurs se trouve alors à la marge, peuplé de la pugnacité des punaises, dealers, craquements des os des criquets, brûleurs de crack, chevaliers de la B.A.C. en bécane roulant à vive allure dans la constellation des banlieues, voisines aux yeux démultipliés observant au travers des murs.
La cité est un centre délaissé, annexée de manière parallèle.
Elle se définit, se positionne « hors de », en redessinant inévitablement les contours d’un autre centre. Et ce sont de fait les mêmes mécanismes d’exclusions qui rassemblent autour de préjugés utiles.
Possédé du démon de l’intolérance, du pouvoir et de nos luttes internes, de nos groupes, la diagonale inscrit une violence sans verbe. Franchir, s’affranchir, rentrer ou sortir, la contradiction est partout et l’écriture est cette lutte contre les murs. Elle fait manger des tours aux princes, coupe les têtes aux rois, fracasse les parois contre les têtes amollies et catapulte les cavaliers d’un pallier à l’autre. Elle joue de l’espace du centre à la périphérie.
Nous révéler au monde ?
Les mots sont morts et peut-être que personne ne veut les enterrer.
Langue épuisée, ces mots qui tombent, écorce de notre humanité.
Le langage fait le sujet humain et quand nous pensons parler seul dans notre tête, nous nous adressons d’une façon plus ou moins halluciné à un autre (Le Double).
Voix faite pour rencontrer l’autre et repasser par la main (l’écriture) dans la distance et tracer les mots.
Au désespoir de ne pas trouver d’ouverture dans un monde qui nous coupe, éclat fugitif, le couteau de la parole mu comme par un instinct animal ouvre les carapaces humaines.
Contre jour
La sensation de la pluie, les chaussures que l’enfant met à l’envers,
Les lampes anonymes de nos repères, les pâles reflets de la clarté de la rue
À cinq heures du matin, la silhouette de la dame qui part au travail,
Une marrée de caféine farouche avec les locataires de l’immeuble
Et leurs discours, de minute en minute les bus tracent leurs sillons numérotés.
Les malheurs familiaux que la morphine de la magie apaise,
Le dégoût enseveli dans l’incapacité d’agir, les fers à repasser de l’avenir…
Celui qui rêve de changer pour de bon et se lève avec une sorte de lenteur parce que le sort s’est jeté sur lui !
Un climat de chômage dans les halls dont les yeux vous fixent – sauvagerie déchaînée des jeunesses pauvres – une menace de tempête va s’éteindre dans le commerce illégal…
Les jouets de l’enfance cassée des tréfonds absurde de la mémoire
Les mecs regroupés les uns près des autres, l’un d’entre eux, un « Libellule », voudrait tomber dans l’abîme d’autrui. Hors de lui-même rien que le vide. Quelqu’un le repoussa, quelqu’un voulu qu’il revienne à lui.
Le poids remuant que doit supporter cet homme qui aurait voulu se mêler aux passants et parler de son amour – mais ils ne remarquent rien. Être à part à rester là, à regarder autour de lui sa bouche aller vers eux, de visage en visage, pour un bruit, pour une ombre, pour un clignement d’œil mais il passe au travers, et ils restent évasifs (dans cette adhérence à la banalité aveugle berçant nos incapacités à recevoir le monde).
Libellule – au pied du mur sans porte de l’école – rêve d’être un jour invisible et de zigouiller la vérité glaçante de la vie (avec ses revendications pressantes qui surgissent dans le cœur et en fait de la confiture toute la journée), traîne entre ciel et terre et l’échec cette présence en lui de l’écriture. Métaphysique d’un analphabète. Son papier dans les mains, plein de fautes d’orthographe, il en fait une boule et la jette au sol, s’en va et dit cadavre nu qui dort. Il sait que le monde est toujours autre chose et l’écartèle de sa propre douceur, esclave des circonstances.
« Au pied du mur sans porte c’est comme une obligation de rendre possible le seul impossible. On dirait les éclats d’une métaphysique analphabète. L’éventualité d’être conçu et de ne pas naître instaure un doute universel, ébranle le monde parce que, justement, ce n’est peut-être qu’une éventualité. »
Claude Régy
LAZARE
Né le 29 mars 1975 à Fontenay aux Roses.
Nationalité française.
Est auteur, metteur en scène, acteur improvisateur.
Comédien formé au Théâtre du Fil (théâtre de la protection judiciaire)
puis à l’École du Théâtre National de Bretagne, de 2000 à 2003 par : Stanislas Nordey,
François Tanguy, Claude Régy, Loïc Touzet, Bruno Meyssat , Frederic Fisbach, Marie Vayssière,
Renault Herbin, Philippe Boulay, François Verret.
Il écrit et met en scène :
• Orcime et Faïence, présenté au T.G.P de Saint-Denis en 1999.
• Coeur Instamment Dénudé – présenté au Lavoir Moderne Parisien en 2000.
• Purgatoire – au Limonaire à Paris en 2000.
• Passé – je ne sais où, qui revient.
Cette pièce a reçu une bourse de création de la commission théâtre du Centre National du
Livre, en juin 2007.
En février 2008 : mise en voix du texte à la Fonderie, au Mans, puis au théâtre des Bouffes
du Nord à Paris.
Du 7 au 21 février 09 : création du texte et mis en scène par l’auteur au théâtre l’Échangeur à
Bagnolet. Cette pièce à reçu l’aide à la création de la DRAC Île-de-France.
• Les morts ne sont pas morts – les cendres sont germes – je ferme les yeux et viens me perdre dans l’eau qui dort (Le prélude de Passé – je ne sais où, qui revient) a obtenu une
bourse d’encouragement du Centre National du Théâtre en novembre 2007.
Création en août 2008 au festival de Langlade (Lozère)
• Au pied du mur sans porte (en cours de construction) sera présenté au Studio-Théâtre de Vitry en février 2010
En 2006 il fonde la compagnie VITA NOVA
Il joue sous la direction de :
Au théâtre
Claude Merlin : Nocturne à tête de cerf (2000) et La Sirène de Pascal Mainard (2005) ;
Théâtre de bouche de Ghérasim Luca (2009)
Ivan Stanev : Le bleu du Ciel de George Bataille (Berlin, Lille Rose des vent / 2000)
Stanislas Nordey: Atteintes à sa vie de Martin Crimp (TNB à Rennes /2004) et Le triomphe de l’amour de Marivaux (TNB et Nanterre-Amandiers / 2005)
Pascal Kirsch et Bénédicte Le Lamer : Mensch (Odéon – Ateliers Berthiers / 2007)
Au cinéma
Nicolas Sornaga : Mr Morimoto (2007) – Chose rose Loula (2009)
En tant qu’auteur et acteur improvisateur, Lazare travaille pour le chorégraphe François Verret pour la préparation de son spectacle Sans retour, en 2006.
Il fait de nombreuses improvisations (poésie spontanée, récits noirs, chutes et drames
instantanés), seul ou accompagné de musicien :
• Au théâtre des Bouffes du Nord pour le festival La Voix Est Libre:
en juin 2005 avec Elise Dabrovski ; en mai 2007 avec Benjamin Colin et
en mai 2008 avec Jean François Pauvros, en mai 2009 avec Balaké Sissoko
• En duo avec Benjamin Colin, il crée le spectacle d’improvisation Les chambres de hasard à la Guillotine, à Montreuil en 2006. Ils sont accueillis en résidence à la fondation Royaumont
en 2008, puis dans de nombreux festivals.
Ils participent tous les deux à la tournée franco Malienne du Griot au slameur
( de mai à décembre 2008 ).
Textes édités :
• Trajectoire : Revue trimestrielle FRICTIONS n°5 en 2002
• Passé – je ne sais où, qui revient :
Première parution aux éditions L’ELASTIQUE en février 2009.
Une deuxième parution aux éditions LES VOIX NAVIGABLES en novembre 2009