REVUE INCISE

maquette couv Incise 3

REVUE INCISE est née à Vitry-sur-Seine au Studio-Théâtre de Vitry et y a passé 3 ans. Son quatrième numéro se prépare maintenant depuis Gennevilliers (Théâtre de Gennevilliers). A retrouver en septembre comme chaque année. D’ici là vous pouvez suivre l’actualité de la revue, retrouver la liste des librairies qui la diffusent ou la commander en ligne (bientôt) ici.

L’un des paradoxes étonnants de la vie théâtrale actuelle réside dans l’absence de débat (esthétique, politique, sensible) qui accompagne la création, à un moment où les termes de résistance, d’engagement, de radicalité ou d’exigence circulent beaucoup. Tout le monde se plaint mais on se parle peu. Et toute parole critique semble bannie, ravalée par la peur de déplaire. Ce constat qui n’est pas vraiment nouveau était déjà à l’origine de notre candidature à la direction du Studio-Théâtre, que nous entendions comme une façon d’ouvrir un dialogue manquant. De fait l’accueil et la rencontre d’équipes portant d’autres visions du théâtre que la nôtre nous a donné de l’air, et je ne pense pas exagérer en disant que cette pratique de la rencontre a sensiblement déplacé notre travail de création. Il nous a paru aujourd’hui nécessaire de pousser un peu plus loin cette exigence en créant une revue, non de théâtre, mais depuis le théâtre. Que le Studio-Théâtre ouvre un lieu de pensée et d’échange, indépendant, avec l’idée d’une contribution active au débat critique général, concernant aussi bien la pratique théâtrale que des questions plus larges, dans le domaine de la pensée, de la littérature ou des arts.

C’est ainsi que REVUE INCISE est née, menée par Diane Scott dont la réflexion critique, stimulante et libre, donne le ton et l’esprit.

Daniel Jeanneteau


REVUE INCISE 3

(…)
Nous reviendrons foule sans nombre,
Nous viendrons par tous les chemins,
Spectres vengeurs sortant de l’ombre,
Nous viendrons nous serrant les mains.

La mort portera la bannière ;
Le drapeau noir crêpe de sang ;
Et pourpre fleurira la terre,
Libre sous le ciel flamboyant.

Louise Michel
Chanson des prisons, mai 1871

Mobilisations sociales à peine suspendues par l’été, montée qu’on dirait sans limite de la xénophobie en France, crise historique du droit d’asile en Europe : notre entrée dans le théâtre et le monde par la question « Qu’est-ce qu’un lieu ? » résonne beaucoup cette année, même un peu trop.

Par rapport à « l’actualité », l’espace d’une revue est un lieu particulier : il permet qu’elle se fasse histoire. Non pas monument, mais écart et pensée. Ce numéro 3 s’y emploie. Et, par chance, l’histoire s’excède ici en poèmes, aussi.

Construire des lieux communs pour l’esprit, lire nos objets de l’art, penser notre manière même de lire, et puis écrire: New York, les années 1980, la culture elle-même… Ce numéro 3 creuse son incise, engagée, ouverte.

Diane Scott


Actualités 

Le N°3 est disponible en librairie depuis le 15 septembre 2016.

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SOMMAIRE

À QUOI BON ENCORE L’UNIVERSITÉ ? UN TEXTE D’HUMEUR
Antonia Birnbaum
+
LES VAGABONDES
Alain Béhar
+
FAIRE DES LISTES —THÉÂTRE ET HISTOIRE
Diane Scott
+
L’ART LATINO-AMÉRICAIN N’EXISTE (TOUJOURS) PAS
Annabel Tournon
+
ÉTATS-UNIS VERSUS AMÉRIQUE LATINE
Marta Traba, traduit par Annabela Tournon
+
À LA RECHERCHE DU SIGNE PERDU
Marta Traba, traduit par Annabela Tournon
+
LA MÉTHODE SANS MAÎTRE, OU COMMENT CUISINER LES ABSTRACTIONS
Florent Lahache
+
TRIANGULER BRECHT
Fredric Jameson, 3e chapitre de Brecht and Method, traduit par Florent Lahache
+
POÉSIE CLASSE MOYENNE
Gilles Amalvi
+
AU HAUT DU VIEIL HÔTEL
Joseph Mitchell, traduit par François Tizon

et un petit cahier de jeux disséminé


EXTRAITS

Antonia Birnbaum : À quoi bon encore l’université ?
Aujourd’hui, la question «à quoi bon encore l’université ? » est posée à plusieurs titres. Il y a ceux qui la posent pour nous inviter à la déserter. Il y a ceux qui la posent pour la défendre. Il y a ceux qui les premiers en dictent les termes, et qui possèdent déjà la réponse, à savoir les tenants d’un pouvoir au service de la rationalité économique et du contrôle permanent de tous qui informent sa logique. Dans les remarques qui suivent, je voudrais tenter de nommer le malaise que j’éprouve à enseigner aujourd’hui en université. J’écris donc un texte d’humeur.

Alain Béhar : Les Vagabondes
C’est au Théâtre Molière, la prise de son est catastrophique mais joyeuse – on entend un brouhaha de gens en colère dans les coursives et Françoise court dans tous les sens pour essayer d’obtenir le silence – le décor ne tient pas sur la scène en pente. Le jardin, la cour, le grillage, le bâtiment en fils, le cheval blanc, les cinq poutres de La Dernière Image et la première pierre du Centre Dramatique Potentiel, tout glisse vers la fosse et Roland refuse de fixer quoi que ce soit. On monte, on descend, on remonte des choses, on fait rouler des kilos d’oranges à jus de haut en bas. On rit beaucoup. Caroline fait de la luge avec Suzanne sur des bouts de moquettes, mais c’est annulé à cause du couvre-feu. Alors on creuse à quelques-uns pendant l’entracte un tunnel sous la fosse d’orchestre jusqu’au bar d’en face, le Roule ma poule, rebaptisé pour l’occasion L’Eldorado des récalcitrants. Une chorale nomade d’enfants sédentaires y chante une version quasi slamée d’Agamemnon. Bien sûr, même sur invitation, on imagine mal entrer à 850 au bar d’en face, tous les volets fermés, même nus, même avec le décalage horaire. Aux environs de Saint-Pierre-et-Miquelon, il est six heures de moins au bar d’en face.

Diane Scott : Faire des listes — théâtre et histoire
Tout ceci se déploie sous l’égide d’un énoncé-maître qui a intensément cours depuis les années 1990 : le théâtre pense. Énoncé qui est la trame d’une revendication à double fond : 1) le théâtre n’est pas du spectacle, il est autre chose que du divertissement, il a trait à l’esprit et c’est à ce titre qu’il mérite du public (dans les deux sens du mot – qu’il faut aller voir ces spectacles et qu’il faut les subventionner) ; 2) c’est depuis la pensée que nous pourrons régénérer notre rapport au politique, miné par le consumérisme, la dépolitisation et la droite extrémiste.

Annabela Tournon : l’Art Latino-Américain n’existe (toujours) pas 
Faire circuler la pensée de Marta Traba en français aujourd’hui nous a semblé pertinent pour deux raisons principales : d’une part, parce que sa position permet de nuancer la représentation caricaturale du modernisme qu’un certain nombre d’études sur l’art contemporain tendent, par la négative, à fixer ; d’autre part, parce qu’elle permet de discuter la position «humaniste» défendue par un certain nombre de médias de gauche au sujet de l’art et de la politique.

Marta Traba : États-Unis versus Amérique Latine à la recherche du signe perdu — traduit par Annabela Tournon
Reprenant Freud là où ce dernier considère que malheur et répression doivent nécessairement exister pour que prévale la civilisation, Marcuse inspire une révolution libératrice dont il reste le penseur le plus dévoué. Les contributions de la plus jeune critique nord-américaine, Susan Sontag, ne sont pas étrangères à tout cela, quand elle en appelle à une érotisation de l’approche et du jugement critique. Cependant, la libération sexuelle qui s’est produite aux États-Unis sur de nombreux plans n’a pas débouché sur l’érotisme, mais sur la représentation libérée de la sexualité ou sur la tolérance totale de la pornographie.

Florent Lahache : la méthode sans maître, ou comment cuisiner les abstractions
En un sens, le matérialisme brechtien a quelque chose d’un remède-poison, d’un pharmakon marxiste : une anti-pensée destinée à radicaliser la pensée, à défaire la dimension trop générique des raisonnements, à en déloger les aspects autoritaires. Son adversaire, ce sont les effets d’intimidation produits par les énoncés de savoir – ce qui paralyse la réflexion à l’intérieur même de la réflexion. À ce titre, la méthode brechtienne s’op- pose aussi bien aux procédures de la généralisation qu’à celles de la spécialisation, de l’expertise, aux figures de l’intellectuel en petit propriétaire de son domaine.

Fredric Jameson : Trianguler Brecht — traduit par Florent Lahache
Dans un cas comme dans l’autre, nous aurons délivré Brecht d’une conception du modernisme désormais convenue (le style remarquablement subjectif, l’attitude typiquement ironique) ; mais, par la même occasion, nous nous trouvons dans l’incapacité de définir une caractéristique que chacun peut reconnaître, y compris les non-germanophones : les qualités sèches, spirituel- les et ironiques de son usage de la langue, qui poussent à ajouter Brecht à la liste proposée par Nietzsche (dans un esprit relativement anti-allemand) des trois meilleurs livres allemands (la Bible de Luther, les Conversations de Goethe avec Eckermann, et le sien propre).

Gilles Amalvi : Poésie classe moyenne
maintenant
il faut écrire le poème-classe-moyenne
il faut l’écrire
si tu ne veux pas qu’il t’écrive
qu’il s’écrive dans ton dos
qu’il écrive à ta place
une poésie moyenne
fade et indolore

[poésie-classe-moyenne
contre poésie-classe-moyenne]

Joseph Mitchell : Au haut du vieil hôtel — traduit par François Tizon
Je suis curieux mais pas à ce point. Pour vous dire la vérité, je veux juste ne pas monter dans cette cabine tout seul. Je sens quelque chose, et c’est le nœud du problème. Cela me met mal à l’aise – tout enfermé, et tous ces moutons de poussière. Cela me fait penser à un cercueil, l’intérieur d’un cercueil. Ça ou tout aussi bien une grotte, l’entrée d’une grotte. Si je pouvais trouver quelqu’un pour m’accompagner, quelqu’un à qui parler, de façon à ce que je ne sois pas tout seul là-dedans, j’irais ; j’y grimperais aussitôt. Quelquefois, j’y suis presque arrivé.


REVUE INCISE 2 

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rédaction en chef : Diane Scott
conception : Élise Garraud, Diane Scott, Juliette Wagman
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correction : Guillaume Rannou

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