L’Illusion comique

L’Illusion comique

De Pierre Corneille
Mise en scène Frédéric Fisbach
Scénographie : Emmanuel Clolus
Costumes : Olga Karpinsky
Lumières : Daniel Lévy
Assistant à la mise en scène : Alexis Fichet et Sophie-Pulchérie Gadmer

Avec : Hiromi Asaï, Valérie Blanchon, Christophe Brault, Pierre Carniaux, Alexis Fichet, Wakeu Fogaing, Sophie-Pulchérie Gadmer, Laurence Mayor, Giuseppe Molino et Benoît Résillot.

Projet :

Monter l’Illusion comique n’est pas tout à fait monter un classique, puisqu’en réalité la pièce est d’une époque et d’une facture qui précède de peu la période classique elle-même. Quand Corneille écrit cette pièce, sa neuvième, il est encore jeune, baigné dans le courant baroque, et l’époque de la Bienséance et des Alexandrins imparables (Racine) n’est pas encore venue. La forme des pièces, la langue elle-même, ne sont pas formées définitivement.

La première partie de notre travail va donc consister en un long travail sur le texte. Il faudra bien évidemment définir un traitement cohérent des alexandrins, un traitement qui tienne compte du fait qu’ils n’ont ni la régularité ni l’évidence des pièces ultérieures, qu’elles soient de Corneille ou d’autres.
Une autre de nos grandes préoccupations sera de travailler sur l’âge des mots. La pièce étant écrite à une époque de relative instabilité du vocabulaire, certains mots ont disparus, d’autres ont changé de sens. Par exemple, l’Illusion comique signifiait d’une part l’Illusion qui fait rire, mais aussi et surtout, l’Illusion théâtrale. Comme dans une langue étrangère, les mots, faux amis, peuvent donc nous orienter dans une mauvaise direction. Ils peuvent également s’être légèrement décalés au cours du temps, et altérer de manière discrète la compréhension.
Le texte sera respecté, et joué dans son entièreté. Il ne sera pas réécrit, ni modernisé. Les acteurs vont donc jouer l’Illusion comique, sans essayer de feinter, ou de détourner le texte. Mais dans le même temps, afin d’exposer l’irrémédiable distance du texte, nous essaierons de proposer des définitions des mots inconnus, d’inscrire l’âge des mots dans la représentation, et cela par divers moyens qui pourront être des écrans, des panneaux… A la pièce proprement dite, jouée et dite par les acteurs, se superposeront des traductions et des commentaires mettant en lumière le décalage temporel.

Pour jouer l’Illusion comique, Frédéric Fisbach a constitué un groupe d’acteurs et d’actrices qui n’est pas une distribution. C’est dire que ce qui a présidé aux choix, n’a pas été la correspondance de telle personne avec tel rôle, mais l’invention d’une équipe artistique cohérente. C’est seulement une fois cette équipe formée que la question de la distribution des rôles se pose. Et comme, de toute façon, il y a plus de rôles que d’interprètes, nous savons d’ors et déjà qu’il faudra jouer avec le théâtre, les marionnettes, ou les ombres, ou les masques… Il semble dès à présent que tous les personnages n’auront pas exactement la même existence, ou du moins la même consistance. C’est d’ailleurs le texte lui-même qui joue des différences de statut théâtral des personnages, selon leur degré de réalité, ou selon leur épaisseur. Nous allons seulement examiner et prendre en compte ces différences.
La volonté de travailler avec un groupe d’individus précis vient aussi du désir de faire exister plus fortement, dans le temps présent, les interprètes. Nous partons du principe que la force d’une œuvre théâtrale n’est pas simplement dans la fable qu’elle déplie sur scène, mais également et de manière au moins aussi importante, dans les personnes qui la font et qui l’interprètent chaque jour. Pour cette raison, et par extension de la réflexion menée dans le texte sur le statut social du comédien, et dans l’esprit même du titre, qui insiste plus sur la représentation elle-même que sur ce qui est représenté, nous mènerons un travail cherchant à mettre en valeur les interprètes eux-même.
La représentation fidèle et intégrale de la pièce de Corneille sera donc accompagnée, en temps réel, du vécu de cette représentation par ses interprètes. Ils pourront, par des moyens qui restent en partie à imaginer, faire part de leur propre compréhension du texte dans le moment même où celui-ci est dit, ou commenter l’atmosphère de la salle, ou leur propre état présent. Il ne s’agira en aucun cas d’une mise à nue, mais d’un jeu permanent d’accompagnement de la représentation et de vie, où la stricte vérité ne sera pas forcément de mise.

Il s’agira bien de mettre en scène et d’interpréter l’Illusion comique de manière respectueuse, mais en superposant à cette représentation une visibilité particulière de la vie de cette représentation. Nous voulons faire du théâtre, le questionner, et que chaque représentation soit, par le fond et par la forme, un hommage aux interprètes, et un moment de vie au présent.

Notes d’intention – Alexis Fichet, Février 2004

Tournée

Représentations au Théâtre national de l’Odéon / Berthier du 23 septembre au 23 octobre 2004, puis jusqu’en juin 2005, qui s’achèvera par des représentations au Studio-théâtre de Vitry.

Revue de presse

« Frédéric Fisbach prend Corneille au pied de la lettre en questionnant sa langue. Cherchant à travers les mots les ressorts secrets de la fabuleuse machine à illusions, il démonte pièce par pièce le monstre, découd l’œuvre en multipliant les inserts et les redites pour assurer comme un alpiniste chacune des prises de cette ascension proposée d’un grand sommet « classique ».
Présenté au dernier festival d’Avignon, ce travail a suscité la polémique. Revendiquée comme une mise en chantier, la démarche engagée se propose simplement de pousser à ses limites la recherche entreprise par Corneille de déconstruire le réel comme un miroir aux alouettes. Une ambition qui n’a rien d’incongru. Réjouissons-nous que cette entreprise nous livre l’éternelle Illusion comique sous la forme s’un objet qui n’a rien perdu de sa charge provocatrice. »

Patrick Sourd, Théâtres, sept-oct. 2004

Bien sûr, il y a la pièce de Corneille et ses péripéties. Mais ce qui étonne, et ce qui séduit, dans la mise en scène de Frédéric Fisbach, c’est tout ce par quoi il la rend actuelle. Il y a les lumières qui sculptent un décor presque inexistant (quelques chaises, quelques praticables), les rideaux transparents que l’on « traverse » pour accéder à un autre monde, la confrontation des comédiens d’aujourd’hui (venus d’horizons divers comme le Japon, le Cameroun ou la France) avec une langue parfois archaïque au service d’un texte vieilli dans sa forme, mais pas dans ses thèmes : les manigances des puissants, les illusions sur l’être aimé, l’illusion de l’amour, le théâtre pour parler de la vie en vrai. »

Ouest France, 27 janvier 2005

« Le public assiste à une comédie où les artifices ne cessent de l’égarer sans vraiment le faire, puisque le parti pris du spectateur est aussi de se laisser mener par le bout du nez. Il est au théâtre… Sur ce terreau comico-dramatique, Frédéric Fisbach offre une belle leçon. Cela commence par le texte en alexandrins, décrypté pendant les dix premières minutes de vive voix puis par écran d’ordinateur. Fisbach pousse même le pari jusqu’à supprimer les voix, laissant au mime la possibilité d’établir une passerelle avec le texte de Corneille, affiché en fond de scène. Pour quelques vers, l’amour peut aussi prendre des accents japonais parce qu’Isabelle, pour un soir, est interprétée par Hiromi Asaï. Le jeu n’y perd rien. Sous la houlette de Fisbach, il est promu à l’essentiel, une expression maîtrisée d’acteurs, capables de changer de peau du jour au lendemain.
Quelques éclairages rasants, un échange rapide de costumes, des tréteaux de différentes hauteurs, des écrans de toile.
C’est minimal, avare de gestes, extrêmement bien conçu et souple de lecture. Entre songe, réalité, théâtre, rire ou larmes, la tête s’égare, juste ce qu’il faut, avant l’éclaircie finale qui n’hésite pas à lancer une passerelle au-dessus des époques, en évoquant la permanence de la fragilité du statut de l’acteur. »

Christian Campion, Le Télégramme, 21 janvier 2005