Les Paravents

Les Paravents

Mise en scène : Frédéric Fisbach
Scénographie : Emmanuel Clolus
Musique : Thierry Fournier
Costumes : Olga Karpinsky
Lumière : Daniel Lévy
Marionnettes : Théâtre de Marionnettes Youkiza (Tokyo)
Assistant à la mise en scène : Alexis Fichet

Avec : Valérie Blanchon, Christophe Brault, Laurence Mayor, Giuseppe Molino, Benoit Résillot

Projet :

Pour mettre en scène cette œuvre de Jean Genet, Frédéric Fisbach a choisi de faire appel à des marionnettistes japonais pratiquant une forme de bunraku (marionnettes à fil, qui parle par la bouche d’un récitant placé sur le côté du plateau). Elles incarnent les 96 personnages, aux côtés de trois acteurs pour les figures principales que sont Saïd, Leïla et la mère.
Un dispositif sonore et vidéo appuie ce travail qui permet de rester fidèle aux indications de Genet et conduit à un spectacle dont les paroles résonnent fort politiquement…
(pour en savoir plus sur le projet de mise en scène, sur le projet sonore ou sur les marionettistes)

Création : avril 2002

Tournée : Brest, Paris, Tokyo, Salzburg

Production :

Création résidence Le Quartz – Scène nationale de Brest
Ensemble Atopique avec l’aide du Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles du Limousin et de la Région Limousin, Studio-théâtre de Vitry, avec le soutien du Ministère de la Culture – Drac Ile de France,
du Département du Val de Marne et de la ville de Vitry-sur-Seine
Le théâtre national de la Colline
Le Setagaya Public Théâtre (Tokyo)
Le Théâtre de marionnettes Youkiza
Le théâtre de l’Union – Centre Dramatique national de Limoges
Le Maillon – Scène nationale de Strasbourg
Théâtre Jean Lurçat – Scène nationale d’Aubusson
Avec le soutien de l’AFAA – Ministère des Affaires étrangères et du Service culturel de l’Ambassade de France au Japon.

Revue de presse :

« mais la règle du jeu n’est pas difficile à comprendre. D’autant que Frédéric Fisbach offre un fil solide : il s’agit de suivre le trio familial dans une épopée, un voyage initiatique vers la mort à travers un pays en guerre. Et le ton de son spectacle est celui du conte : traversé par les histoires les plus fantastiques et pourtant étonnamment calme. Si l’on adhère à ce parti pris, le long voyage à travers les Paravents passionne, bouleverse, déroute et imprime dans la mémoire des images inoubliables, tel l’incroyable ballet d’ombres chinoises qui prélude à l’entrée de Leïla dans le royaume des morts. »
René Solis, Libération, 28 mai 2002

« Tout au long de ce spectacle riche de quatre heures, on reste ébloui en effet par la composition étonnante de cete onirique saga franco-algérienne (…) Pour monter cette œuvre étrange où se côtoient vie et mort, bordel et salons bourgeois, outrance du vice et soif de justice, Frédéric Fisbach a renoncé à tout réalisme. Entraîne dans un univers sobrissime et dépouilé à la force plastique surprenante. Seuls trois comédiens de chair et d’os incarnent Saïd, Leïla et la mère ; les autres personnages sont de somptueuses et minuscules marionnettes japonaises Youkiza maniuplées à vue par des hommes silencieux vêtus de noir et que chaque spectateur peut observer à l’aide de jumelles distribuées au début du spectacle. Deux comédiens se chargeant, sur une tribune, de proférer avec humour et violence les dialogues incendiaires des dizaines de protagonistes de la pièce. De cette distance voulue, sophistiquée – les jumelles, les deux « vociférateurs » – naît un art de la surprise toujours renouvelé. De l’émerveillement. Quasi enfantin. D’autant que la bande-son est ici nourrie de mille trouvailles auditives (…) Comme les morts des Paravents, Frédéric Fisbach sait des secrets ».
Fabienne Pascaud, Télérama, mai 2000
Notes de mise en scène

« Mais le lecteur de ces notes ne doit pas oublier que le théâtre où l’on joue cette pièce, est construit sur un cimetière, qu’en ce moment il y fait nuit, et que, quelque part, on déterre un mort pour l’enterrer ailleurs. Dans cette pièce _ mais je ne la renie pas, oh non !_ j’aurai beaucoup déconné. »

Commentaires de Jean Genet pour Les paravents

Carnet de travail

The screens, Les paravents – 1998

Je me trouve aux Etats Unis où je travaille avec des étudiants sur The screens, et pour la première fois, je songe à monter Les paravents. Avec ces paravents devenus écrans, je relis la pièce à travers un monde à la verticale, où viennent se projeter des mots, des formes, des dessins…
Je pense alors au livre, à la scène comme un livre, aux livres de contes, ceux avec des images.
D’ailleurs Les paravents, le livre, est un objet étrange, qui alterne tableaux et commentaires, non pas des didascalies mais des moments d’écriture à part entière, qui font partie de la pièce.
C’est dans ces commentaires que Genet révèle son humour féroce, qu’il joue à perdre le lecteur.
Depuis lors, la pièce m’apparaît comme une proposition plastique pour la scène, en tout cas dans sa première partie.
Après ? Un espace plus musical peut-être, qui, d’un coup, se soucierait de la polyphonie des voix, comme si on changeait de lieu, quittant ce qu’il y a à voir pour ce qu’il y a à entendre.
Et je rêve à une représentation des paravents comme à une sorte de fête débordante et grave, un carnaval. Où comme à la fin d’une fête qui a duré trop longtemps, quand chacun, renvoyé à lui même, éreinté, serait étrangement apaisé avec les autres.

Le Japon – 1999

Le projet est toujours la, dans ce coin de ma tête, qui attend un déclic.
Pendant une représentation du théâtre de marionnettes japonaises de Ningyo Joruri (dont le Bunraku d’Osaka est la forme la plus connue), je décide de mettre en scène Les paravents.
C’est un art qui dissocie l’œil de l’oreille. Sur le plateau, les marionnettes et leurs manipulateurs évoluent en silence. De côté, sur une estrade, sont juchés un shamisen et un vociférateur, qui est la voix de tous les personnages, celui qui raconte l’histoire et peut aussi chanter la beauté d’un paysage ou la tristesse d’un héros.
Le théâtre bunraku ne peut exister sans le spectateur qui doit combler les vides, relier ces deux scènes, projeter ce qui a volontairement été omis, tu. Pendant cette représentation, je repense à cette fête outrée et grave. Je repense aux Paravents.
Des screens à la tradition ancienne du théâtre de marionnettes, quelque chose d’évident m’apparaît.

Les répétitions – 2002

« par le fait de quels cheminements les mots tradition et trahison, s’ils ont la même origine, signifient-ils des idées si différentes ou si foncièrement –je veux dire si radicalement- semblables ? »
Jean Genet, Les paravents, commentaires tableau 13.

Nous sommes en pleines répétitions, je n’oublie pas que je suis tombé dans les paravents par l’étranger.
Et c’est tant mieux car les corps étrangers sont nécessaires à la pièce, à l’œuvre de Genet. Ils en sont un révélateur. Genet disait qu’il écrivait dans la langue de l’ennemi, le Français. Il disait aussi qu’il ne voulait surtout pas que les Arabes soient joués par des Arabes. Les Youkiza sont étrangers à la pièce, ils la regardent de l’autre bout de la terre, n’y ont accès que par la traduction, la trahison. Ils sont des révélateurs de la pièce. Et la pièce, dialogue entre vivants et morts, leur est familière, tant leur théâtre ne parle que de fantômes, de revenants.

Les manipulateurs, même s’ils connaissent parfaitement la pièce, n’entendent pas la langue, ils travaillent donc plus sur les sons, les inflexions, les énergies vocales des vociférateurs, sur la mémoire qu’ils ont du texte. Ils la jouent , mais dans quel monde imaginaire se projettent-ils ? Leur jeu ressemble à un exercice de funambule, pas si éloigné du côté joueur de Genet, que l’on retrouve dans ses entretiens et commentaires et qui est une des marques de l’élégance de sa pensée.

Genet sait que les vérités ne se disent que voilées, cachées. Les paravents, se présentent comme une énigme.

La guerre d’Algérie, Les paravents, une pièce politique ?

Je ne cherche pas à représenter la guerre d’Algérie mais plus je cherche à m’en éloigner, plus elle réapparaît. Genet déclare qu’il n’a pas écrit une pièce sur la guerre d’Algérie mais qu’il l’a écrite au moment où elle avait lieu et que son écriture en a été fortement marquée.
Il s’agit moins, à mon sens, du scandale d’une guerre que d’une quête. La quête de cet instant qui bascule, où tout est potentiel, où rien n’a eu le temps d’advenir. Cet instant où le chant s’impose. Une quête pas si éloignée de celle de Rimbaud.
Il est difficile de ne pas voir inscrit dans Les paravents le parcours fantasmé de son auteur, et dans la fin de Saïd, la sortie de Genet du champ de la littérature pour l’engagement auprès des « révoltés » , Black Panthers ou Palestiniens. J’ai envie d’aborder la pièce du point de vue de « ceux qui poussent en dehors de l’enceinte du jardin, de la famille des orties », des exclus de l’Histoire qui errent et qui puent longtemps avant de mourir de faim. Avant tout, j’ai envie de faire du théâtre.

Frédéric Fisbach – Mars 2002

Projet sonore

Une approche musicale globale, de la voix au son, et à la musique

Les paravents sont construits à l’image d’une fugue, exposant et développant un entrelacs de situations, de plis et de motifs, jouant des temps et des espaces en les faisant se superposer, s’interrompre et parfois se contredire, sans jamais laisser s’installer un propos unique. Face à cette forme, l’exigence constante de Frédéric Fisbach en matière d’écoute, de prosodie et d’équilibre sonore des situations a suscité un travail d’élaboration sonore et musicale ne perdant jamais de vue sa relation au texte.

De ce fait, la première singularité de notre approche a consisté à toujours travailler simultanément sur l’amplification et la spatialisation des voix des comédiens, sur le son de la pièce, et sur la composition d’une partition musicale.

Ces trois domaines se croisent en permanence au cours du spectacle, ils sont joués en direct par Jean-Baptiste Droulers, qui joue à la fois le rôle d’interprète musical et de régisseur son. Cette notion de jeu et de direct est importante, le suivi des voix et le jeu des musiques se font en parallèle, en relation étroite avec les acteurs et la dynamique de leur jeu.
Ce rôle s’apparente en quelque sorte au joueur de shamisen du bunraku – ici, un shamisen électronique…

Nous avons choisi d’amplifier et de spatialiser les voix pour plusieurs raisons. Frédéric Fisbach voulait éviter le plus possible la projection vocale typique du théâtre. L’amplification permet une grande proximité et une plus grande richesse d’intensités. Mais elle permet également de différencier clairement des plans vocaux distincts, ce qui est le cas par exemple entre les acteurs et les vociférateurs – ou entre le monde des vivants et celui des morts. Ici intervient la spatialisation, qui va dans le sens de la dramaturgie : la pièce se déploie progressivement par un montage de situations alternées, dans lesquelles la différenciation des espaces vocaux prend tout son sens.

Les images sonores se développent principalement autour de ce que l’on pourrait appeler « le monde extérieur » (les militaires, les colons, les combattants, les prostituées…), celui des situations et des conflits. Elles évoquent des espaces ou des sons de façon fragmentaire, interrompue – leur statut pourrait être comparé à celui des paravents : évoquer des situations, mais à distance et comme en modèle réduit.

La partition musicale, quant à elle, se déploie autour des deux autres mondes de la pièce que sont les Orties (Saïd, Leila et la Mère), et le monde des morts. Les Orties portent autour d’eux un univers de vibration électronique, une masse pulsatoire qui les accompagne et découpe l’espace autour d’eux, comme pour les isoler.

Dans le monde des morts, plus de son, plus de bruits, seule une variation orchestrale de clarinettes, de frottements d’anches et de percussions (lames et gamelans), qui laisse percevoir la suspension du temps, et se déploie au cours des trois derniers tableaux.

Thierry Fournier – avril 2002

Le théâtre de Marionnettes Yukiza

Cette compagnie a une histoire longue de 360 ans. Elle a été a la tête d’un des cinq théâtres autorisés à faire des représentations publiques de théâtre au temps du Shogunat de Tokugawa. Elle est l’une des rares à pratiquer le bunraku avec des marionnettes à fil.

La construction de base de la marionnette Youkiza est restée la même au cours des siècles, à quelques évolutions près. Il s’agit toujours d’une tête en papier maché placée sur un corps en bois, les mains et pieds des marionettes étant reliées au corps par des cordons de coton. Pour les Yukiza, la simplicité de la construction des marionettes permet de présenter au public des mouvements plus naturels.
Pour le directeur de la compagnie, Yuki, « Cela signifie que le public participe à la création. Le théâtre est une forme de co-création entre les acteurs et le public, qui partagent le même songe.
Je n’aime pas les marionettes qui tentent de copier les mouvements de l’homme. Je pense que je peux développer le plus grand potentiel des marionnettes à partir de ce qui les différencie des acteurs ».

A la fin du shogunat de Tokugawa, le théâtre de marionnettes Yukiza, ayant perdu son principal mécène, a du expérimenter de nouvelles pratiques pour survivre. C’est l’origine d’un goût pour les collaborations avec les metteurs en scènes contemporains, comme Makoto Sato, ou du travail d’adaptation de textes modernes comme les pièces de Shakespeare.