Le projet pour le Studio-théâtre de Vitry
Par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma
Le Studio-Théâtre de Vitry n’est pas un théâtre, c’est un lieu de recherche, un laboratoire où doit s’inventer un théâtre qui parle à son temps. La recherche n’induit pas nécessairement l’autarcie. Le Studio-Théâtre n’est pas un abri. C’est au contraire l’endroit où se risquer. Cette possibilité du risque est la condition d’une création vivante. Le paradoxe et la qualité de cet atelier idéal, c’est précisément de permettre suffisamment de retrait pour se risquer mieux.
Le théâtre est l’endroit où une société se pense, dans ses moindres recoins de subjectivité. Nous aimons nous prêter, c’est notre vocation, à cette pensée du monde. Mais il faut du temps et du calme pour se laisser traverser par ce qui se pense hors de nous. Le Studio-Théâtre de Vitry permet ce qu’aucun théâtre ne propose : la souplesse d’une recherche permanente. Certains textes nécessitent des mois, voire des années avant de dégorger la forme nouvelle qui les exprimera sur scène. D’autres peuvent s’accomplir dans la légèreté d’une expérience immédiate.
Nous ne voulons plus concentrer l’essentiel de nos efforts sur le temps trop court des répétitions, mais développer une pratique du théâtre régulière, continue, prendre le temps d’inventer la forme singulière propre à chaque projet, chaque écriture, comme une aventure en soi, un univers. C’est même l’une des caractéristiques essentielle de nos spectacles : la forme est à chaque fois revisitée, réévaluée, repensée. Elle n’est pas l’expression d’un style, d’un savoir-faire, mais elle se réinvente au contact des oeuvres, des comédiens, des lieux et des temps que nous vivons.
Après une carrière déjà longue de scénographe et d’éclairagiste au service des projets de nos aînés, nous avons entamé depuis 2001 une démarche de création personnelle :
Iphigénie de Racine en 2001, La Sonate des spectres de Strindberg en 2003, tous les deux créés au Centre Dramatique de Bretagne à Lorient ; Anéantis de Sarah Kane, créé en 2005 au Théâtre National de Strasbourg ; Adam et Ève de Boulgakov créé en 2007 à l’Espace Malraux de Chambéry. Ces quatre spectacles ont rencontré un large public, tant à la création qu’en tournée. Ils ont tous été joués plus d’une cinquantaine de fois à travers toute la France (Adam et Ève a été vu par près de 10000 spectateurs).
A partir de 2002 nos projets ont été coproduits et accueillis par Alain Ollivier et le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Aujourd’hui, nous éprouvons le besoin vital de nous engager dans la durée d’une vie locale. Nous voulons habiter le Studio-Théâtre, en faire le creuset d’une lente maturation ouverte sur l’extérieur. Le lieu et la structure sont un appui pour permettre à une compagnie de rayonner, et rayonner ne signifie pas seulement transporter ailleurs ce qui a pu naître à Vitry, rayonner c’est aussi devenir un foyer, petit certes mais vivant, un centre, un noyau, qui attire autant qu’il se dilate et essaime.
Le Studio, inscrit discrètement dans le tissu urbain, est une maison qu’il faut partager, faire vivre, une maison qui n’est pas isolée des autres.
Parler à son temps
La question de la distance qui s’est creusée entre la communauté et son théâtre se pose aujourd’hui avec une urgence inquiétante. Nous pensons que le théâtre appartient à la cité qui le voit naître, et qu’avant tout il doit s’offrir comme matière à penser le présent.
Aux époques de Shakespeare ou de Racine, on ne jouait que du théâtre contemporain. Il ne serait venu à l’idée de personne de reprendre un texte ancien. On les connaissait, on s’en imprégnait, on s’en inspirait, mais le théâtre parlait à son temps dans un dialogue immédiat et brûlant. Molière en est évidemment un très grand exemple.
Lors de notre dernière création (Adam et Eve), il nous a paru évident que l’isolement habituel du travail ne convenait pas à certaines formes de théâtre qui ont besoin, pour s’inventer, de s’éprouver au regard du public, dès les répétitions.
Le Studio-Théâtre de Vitry nous permettra d’ouvrir régulièrement l’intimité de nos recherches. Nous voulons établir, même fragile, même balbutiant, un lien de continuité entre le tissu imaginaire qui prélude à tout mouvement d’invention, et le contexte dont il est forcément issu, la société dans laquelle nous vivons. Ces moments doivent faire partie entière et nécessaire du processus de création. Ce ne seront pas des séances que nous proposerons en parallèle au vrai travail, mais un théâtre nu et en devenir, rien qui soit achevé, le processus d’apparition lui-même.
L’un des enjeux essentiels pour nous est de repenser nos pratiques en terme de nécessité : quelle fonction « anthropologique » le théâtre peut-il encore assumer dans une société comme la nôtre, si confuse, si difficile à lire ? Nous voulons nous concerter avec les habitants de Vitry, réunir des comités de spectateurs qui nous aideront à penser notre action, à lire des textes et en choisir.
C’est dans ce cadre que nous avons proposé à des auteurs contemporains de régulièrement nous rejoindre à Vitry afin d’élaborer, au contact de nos expériences sur le terrain, un corpus de textes qui seront mis en scène au fur et à mesure de leur écriture, cela dans l’idée d’inventer un répertoire propre au Studio-Théâtre.
Partager l’outil
Toute une part de la création, et souvent la plus inventive, s’opère hors des institutions et peine à rencontrer le public. Nous n’imaginons pas disposer d’un tel espace de travail sans l’ouvrir aux artistes que nous estimons et dont la présence enrichirait le foyer vivant que nous voulons y entretenir. Le Studio-Théâtre de Vitry, par la souplesse de son fonctionnement et sa qualité de laboratoire, pourrait permettre d’accueillir lors de rendez-vous réguliers (une fois par trimestre) les travaux de metteurs en scène et de comédiens dont nous pensons que les recherches doivent être vues par le public. Sur deux ou trois jours offrir au public la possibilité de traverser plusieurs univers singuliers, dans des formes simples, sans apprêts, mais centrées sur l’écriture et le jeu.