L’Annonce faite à Marie

L’Annonce faite à Marie

Texte de Paul Claudel
Musique originale de Darius Milhaud

Mise en scène : Frédéric Fisbach
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Philippe Berthomé et Daniel Lévy
Assistante à la mise en scène : Lucie Nicolas
Avec : Valérie Blanchon, Bertrand Bossard, Sylvie Levesque, Christian Montout, Maryse Poulhe, Stéphanie Schwartzbrod, Fred Ulysse et un chœur d’amateurs vitrilot

Reprise : du 16 septembre au 12 octobre 2002 au Studio-Théâtre de Vitry

Coproduction

Théâtre des Amandiers de Nanterre, Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale d’Aubusson, Ensemble Atopique

Projet

Le spectacle a été conçu pour être joué « hors les murs ». Du public en attente surgissent des personnes que rien ne distingue et qui montent sur des chaises pour former le chœur qui lance les premières paroles. Le livre est là, dans leurs mains, ils scandent le texte avec une imperfection recherchée et un goût subtil pour le placement des souffles, qui traversent la récitation tel un bruissement du cœur. Ensuite, le public accède à la salle, où des chaises et des tables disparates constituent les seuls éléments scénographiques. Les acteurs, juchés sur ces plateaux improvisés, poursuivent le style de jeu déjà amorcé, contenu et dense. Ils font ressortir sans affectation ni pose l’intensité du drame claudélien. Parfois les choreutes, dispersés parmi les spectateurs, se lèvent et interviennent dans la plus stricte continuité avec l’interprétation.

Création : 1996

Tournée : Théâtre de Nanterre Amandiers, au théâtre Jean Lurçat-Scène Nationale d’Aubusson,
au théâtre d’Evreux-Scène Nationale, au TGP de Saint Denis, à Sarrebruck en Allemagne, à Prague,
et aussi à Saint Junien, Emmerainville, Louvigny,..

Production : Théatre de Nanterre Amandiers, théâtre Jean Lurçat-Scène Nationale d’Aubusson

Note d’intention – 2002

J’ai découvert le Studio-théâtre après avoir mis en scène trois spectacles « hors les murs », dont L’Annonce faite à Marie. Lorsqu’Alain Ollivier m’a proposé d’y créer un spectacle (Le gardien de Tombeau de Franz Kafka, L’île des morts d’August Strindberg), j’ai été attiré par cet espace hors normes, à mi-chemin entre un théâtre et les lieux dans lesquels je venais de travailler. Aujourd’hui, j’en ai la responsabilité et je souhaite y présenter des mises en scène qui prennent en compte la particularité du lieu : un plateau sur lequel a été posé un toit. Il n’y a pas de salle, c’est un espace modulable dans lequel on peut repenser le rapport au spectateur en fonction de chaque proposition. Il est évident que cet espace, ses dimensions, l’absence de cintres, de dessous, de coulisses, de loges, imposent un certain théâtre.

C’est la recherche de ce « théâtre » qui m’avait conduit à créer l’Annonce faite à Marie et qui me pousse à le reprendre dans ce lieu.

Si j’ai voulu prendre la succession d’Alain Ollivier, c’est aussi pour pouvoir nouer des relations stables avec un public, avec des amateurs. C’est à la suite de l’Annonce faite à Marie que l’Ensemble Atopique s’est constitué. Des comédiens amateurs qui ont participé au spectacle composent le conseil d’administration de cette compagnie. Ce noyau rapproché de fidèles a été très précieux. Il a permis, mieux que tout discours, de montrer que l’exigence, un travail pointu, ambitieux, élitiste diraient certains, peut être accueilli par le plus grand nombre. En reprenant l’Annonce au Studio, en constituant un chœur « vitriot », je souhaite poser les jalons d’une relation réciproque.

En 1997-1998, L’Annonce faite à Marie a été présentée près de cent fois en France et à l’étranger.

La reprise :

– raccommodage d’un tissu dont on cherche à reconstituer le tissage.
– action de faire de nouveau après une interruption.

J’aime toutes les propositions de théâtre que j’ai mises en scène, sans exception, toutes différemment.
Je les aime parce qu’elles ont été des moments intenses, vivants, où j’ai souvent eu l’impression de me tenir droit.
Des spectacles ont su toucher les spectateurs plus que d’autres, sans que je puisse comprendre exactement pourquoi.
En raison des processus mis en place pendant les répétitions, des équipes, de la vie, certains naissent avec difficulté, douleur, d’autres au contraire de façon évidente.
Ces derniers arrivent comme s’ils avaient toujours été là, sans qu’on ait l’impression d’y être pour quoi que ce soit, tant ils sont déjà forts, constitués, « autonomes ».

Le travail que nous avons fait sur L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel fait partie de ceux-là.
La « reprise » de ce spectacle ne sera pas une mise en scène « nouvelle », nous allons au contraire tâcher de remettre nos pas dans nos anciennes traces.
Cinq ans ont passé, le temps a fait son œuvre, nous avons tous des souvenirs « vrai-faux ».
Un tel travail va nous surprendre, nous ne retrouverons pas tout, nous trouverons d’autres choses, la reprise n’est jamais fidèle.

Reprendre, c’est essayer de raviver des moments, des états passés, sans nostalgie, c’est retourner aux fondations, au risque de la déception aussi.

Nous repartons avec pratiquement la même équipe avec joie et appréhension.

Frédéric Fisbach, juin 2002

Note d’intention – 1997

Le texte

En mars 1995, j’ai travaillé avec un groupe d’amateurs sur l’Annonce faite à Marie. C’était en Creuse au bord du lac de Vassivière dans le réfectoire d’une colonie. Une lecture de l’intégralité de la pièce en essayant simplement de dire cette langue tout en respectant sa forme. Les versets dont Claudel disait qu’ils ne sont pas de unités de sens, mais des unités émotives. Dans cette cantine éclairée au néon, nous nous sommes passé le relais pendant deux journées, une lecture de 22 heures dont nous sommes sortis bouleversés. Nos réticences face à la pièce évanouies, envolées les « bondieuseries » et ce que nous croyions savoir de cette pièce que nous avions trop vite cataloguée au rayon des chœur militantes catholiques, restait le poème. Un « opéra de parole », comme disait Claudel, un conte pour la scène qui opérait avec la même efficacité et la même puissance métaphorique que de nombreux passages des évangiles. Pasolini et Godard n’étaient pas loin.

Un texte qui traite de la foi bien sûr, mais qui le fait avec complexité. Le doute est permanent, il n’y a pas de manichéisme, pas de réponse. On est loin d’un quelconque militantisme. Six figures d’hommes et de femmes aux prises avec la difficulté d’être au monde, face à Dieu, à l’idée que chacun s’en fait. Il n’y a pas de triomphe, pas d’apothéose. Il y a cette enfant morte et qui renaît, le miracle, et il y a cette jeune femme malade qui meurt de son désir de vivre.

Une pièce sur le « quoi faire ? », « quoi vivre ? », « quoi espérer ? » quand le désir est empêché… Je repensais à Claudel, à cette « faillite » quand, incapable de renoncer à l’écriture, il renonça à la vie monastique, à la commotion qui s’ensuivit, à ce tiraillement, à cette ambivalence et comme tout semblait s’être résolu dans son écriture même. Par le poème, il avait accès à un ailleurs, un monde où ses vocations et ses aspirations étaient compatibles.

Le projet était né ! et dès le départ, deux décisions. Le projet impliquerait fortement des groupes d’amateurs et la représentation aurait lieu hors du bâtiment théâtre.

La musique

Nous travaillons sur la dernière version, écrite durant cinquante-six ans. C’est ce temps de réécriture qui donne cette structure savante, précise. Ce travail a rendu la pièce plus ouverte, plus évidente, certains diront universelle, je dirais nécessaire, encore aujourd’hui.

Il y a une chanteuse sur le « plateau » avec les comédiens. Elle chante, mais ils parlent. Je n’ai pas traduit le lyrisme claudélien par un parlé-chanté, mais par une recherche pour entendre en quoi la voix parlée peut être musicale. Histoire de rythme, de souffle, de son donné par le découpage en versets et par des règles du jeu, faire entendre les diérèses, les « e » muets, supprimer certaines liaisons… La chanteuse prend en charge les prières, la voix des anges et toutes les interventions mélodiques du spectacle. Les acteurs, eux, cherchent la musique dans le parler, un « opéra de parole ».

Claudel a toujours entretenu un rapport très étroit avec la musique. Il a même été question un temps de faire un opéra de l’Annonce faite à Marie dont la composition aurait dû revenir à Darius Milhaud. Ce dernier avait aussi composé la musique des cinq prières, à la demande de Louis Jouvet en 1941, qui projetait de mettre en scène la pièce pendant son exil en Amérique du Sud. A la suite de multiples péripéties (les Allemands interceptèrent la partition, croyant qu’elle contenait un message codé, et elle ne parvint pas à destination), la musique de Milhaud ne fut jamais jouée dans la mise en scène de Jouvet, ni dans aucune autre.

Les amateurs

Depuis la « lecture » de l’Annonce faite à Marie, s’est imposée la nécessité d’un projet où une équipe d’acteurs professionnels rencontrerait une équipe d’amateurs pour travailler ensemble.

Pour proposer le fruit de ce travail comme un spectacle, revendiquer le droit à l’existence pour des spectacles qui sortiraient du « cadre ». Des spectacles hybrides qui mettraient en jeu une partie des « spectateurs », les amateurs, à l’élaboration du spectacle et à son exploitation, aux côtés des acteurs, face aux spectateurs auditeurs. Leur présence n’est pas anecdotique. Ils forment un chœur qui prend en charge le rôle de Pierre de Craon durant le prologue, puis interviennent au début de l’acte III.

Il n’est pas question de faire d’un groupe d’amateurs des apprentis professionnels ou même des professionnels. Le seul intérêt de l’aventure est de travailler ensemble à partir de nos différences. Pour cela, les groupes d’amateurs changent avec les lieux où nous mènera la tournée. Je ne souhaite pas travailler trop longtemps avec chaque groupe, deux stages d’une semaine semblent l’idéal. A ces deux semaines viendra s’ajouter la période d’exploitation, variable selon les cas. Pour ces groupes il s’agira donc d’expériences d’assez courte durée, ayant un caractère d’urgence.

Frédéric Fisbach
Janvier 1997

Revue de presse

« Dans l’épure absolue qui refuse tout décor, sinon quelques tables et chaises pour des acteurs habillés à la mode d’aujourd’hui, il fait entendre le texte de Claudel comme un chant profond. Ponctués des cantiques mis en musique par Darius Milhaud, les mots résonnent empreints d’une poésie singulière (d’un délicieux humour « claudelien » aussi !), alors qu’au hiératisme des corps répond la circulation de la parole toujours en mouvement. Amateurs (en partie pour le chœur) ou professionnels, les comédiens semblent dans un état de grâce que le spectateur, immergé dans le verbe, ne tarde pas à partager.
C’est très juste. C’est très beau. C’est aussi emblématique de la démarche que compte poursuivre Frédéric Fisbach dans cet espace qui n’est pas un théâtre au sens traditionnel du terme : un « théâtre d’art » qui a toujours été le sien (…) un théâtre de recherche, d’expérimentation et « d’atelier ». »

Didier Méreuze, La Croix, 26 septembre 2002

« Tout porte ici le sceau de la ferveur, d’une connivence profonde avec la fable miraculeuse de Claudel, chrétien médiéval exilé au XXè siècle. Curieusement, dans l’énoncé de son verset, il est renoncé aux liaisons logiques, ce qui crée une scansion singulière, une sorte de halètement neuf (…) Devant l’assistance posée sur d’ordinaires sièges coquilles, dans un vaste et banal espace de bureau, le chant s’élève avec une conviction inébranlable, et l’on se prend au bercement d’un souffle primitif au pur jaillissement de source. Il n’est jusqu’à quelques gaucheries du chœur qui se mettent à émouvoir, comme dans les mystères, tiens, où tout un chacun amenait au moulin son grain de sel avec conviction (…) Il y a là une fraîcheur grave qui redonne au théâtre son prix ».

Jean-Pierre Léonardini, L’humanité.

« L’Annonce faite à Marie (…) permet à Frédéric Fisbach de s’inscrire dans la filiation Régy-Nordey et de proposer un spectacle qui se met à l’écoute de l’écrit, non pas comme un exercice de style, mais par rapport à l’événement de la narration. Tout vise et parvient ici à cette alliance. Et cela sur fond de fragilité car L’Annonce de Fisbach possède les vertus de l’esquisse, du trait rapide, bougé. Oui, c’est un théâtre bougé qui joue, de même que les photos, de cette imperfection, de ce tremblement de l’image, de son incertitude autant que de son secret ainsi cultivé (…) Voici un théâtre qui refuse les marges et instaure l’intimité. Et cela grâce à une chorale d’amateurs qui renvoie à l’oratorio et au récitatif, souvent employés par les metteurs en scène épris d’écriture (…) On adopte des postures simples et on pratique le jeu de face, le jeu de l’aveu que le personnage lance en direction du public, comme dans ces spectacles villageois (…) Miracle de la foi claudélienne, mais aussi du théâtre. Cette autre foi renforce le spectacle de Fisbach. Son théâtre tremblé nous réunit, comme jadis les chrétiens dissimulés dans les catacombes. Pour celui qui a subi l’impact de l’Annonce faite là-bas, quelque part à l’écart, loin du centre, grâce à des êtres qui lui ressemblent, l’expérience se convertit en événement. C’est ce dont l’attente d’un spectateur en quête de miracle est habitée. »

Georges Banu, La revue du théâtre, 1997