Article Renan Benyamina

« Faits (fragments de L’Iliade) » aux Subsistances
Hétéroclite le web gay et lesbien mais pas que… à Lyon, Grenoble et Saint-Etienne
par Renan Benyamina le 8 septembre 2014

En ouverture de la seizième Biennale de la Danse, les Subsistances ont passé commande à des chorégraphes, metteurs en scène et écrivains pour des créations en rapport avec L’Iliade et L’Odyssée d’Homère. La première d’entre elles, Faits (fragments de L’Iliade), du metteur en scène Daniel Jeanneteau, s’inspire d’un des passages les plus émouvants de L’Iliade qui voit Priam, le vieux roi de Troie, s’introduire nuitamment dans le camp de ses ennemis achéens (qui assiègent sa ville depuis dix ans) afin de récupérer le corps de son fils Hector, tué par Achille onze jours plus tôt. C’est un père dévasté de chagrin qui s’agenouille devant son ennemi Achille pour le supplier de le laisser rendre à son fils les honneurs funèbres.

La Biennale de la Danse s’ouvre avec une œuvre plus théâtrale et plastique que strictement chorégraphique. Corps, lumière et mouvement en sont cependant la matière et l’enjeu. Au bout de chaque phrase, la voix de Laurent Poitrenaux reste suspendue. Car les chutes qu’il récite, celles des hommes de L’Iliade tombés sur le champ de bataille, se répètent inlassablement. Aucune ponctuation, aucun répit. Ces fragments d’Homère sont des rochers qui dévalent sans fin, l’expression d’une violence qui surgit dans notre dos, traversant l’Histoire depuis la nuit des temps, jusqu’au brouillard loin devant. Daniel Jeanneteau préfère le paysage à l’épopée, il contracte le temps et le pose à plat. Il retient des chants d’Homère ceux décrivant l’impact des armes – lances, épées, lames – sur les corps – poitrine, ventre, visage. Il les fait dire dans un espace dévasté, où règne la moiteur poussiéreuse des terrains de combat, où les seuls reliefs sont les gravas et le béton armé. Troie d’Homère, Gaza d’aujourd’hui. Pas de fauteuils ni d’accoudoirs pour les spectateurs. Nous sommes piégés, c’est inconfortable, éprouvant. Debout et transpirants, nous observons Achille, gracieux et dangereux, séduire, mettre à terre, sauver l’un d’entre nous. Cela dure. Puis apparaît le vieil homme, Priam, qui l’absout, le lave au gant. L’image, comme d’autres plus tôt, est à la fois étrange et familière. Il y a quelque chose de facile ou d’évident. C’est à la fois très beau et très agaçant. On quitte la salle soulagés mais ébranlés. Nous venons d’être traversés par une voix tendue, un regard perçant : c’est tout une épopée qui s’est imprimée quelque part en nous, sans que nous ayons vraiment compris le procédé. Un premier spectacle de Biennale inattendu, esthétiquement sidérant, parfois pénible, mais qui ne laisse pas indemne. Preuve après-coup qu’il s’agit d’un geste important.