faits (fragments de l’Iliade)

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© Daniel Jeanneteau

A l’invitation des Subsistances et dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon, Daniel Jeanneteau va créer en septembre 2014 FAITS, une installation-performance conçue à partir de fragments de l’Iliade, réunissant les interprètes Laurent Poitrenaux, Thibault Lac et Gilbert Caillat. Au croisement du théâtre, de la danse et des arts plastiques, une vision très intimiste du dernier chapitre de l’Iliade.


Représentations les 8, 9, 10 et 11 septembre aux Subsistances

faits (fragments de l’Iliade)

d’après la traduction de l’Iliade par Frédéric Mugler, éditions Babel – Actes Sud

Installation-performance conçue par Daniel Jeanneteau
Lumières Anne Vaglio
Son Isabelle Surel
Assistant Damien Schahmaneche

Avec Gilbert CaillatManuel Guiyoule, Thibault Lac, Laurent Poitrenaux et l’âne Gribouille

Production Les Subsistances, coproduction Biennale de la danse de Lyon, Studio-Théâtre de Vitry

REVUE DE PRESSE


A la toute fin de l’Iliade, Homère fait se rencontrer Priam et Achille. Un vieillard et un jeune homme. Les deux ennemis maximums. C’est la tombée du jour, Priam traverse le paysage avec un âne. Il vient chercher le corps de son fils dans la tente d’Achille. Nul ne le voit venir, à l’abri de son âge, insignifiant. Il n’a pas mangé depuis la mort d’Hector. Il n’a pas dormi non plus. Cela fait onze jours. Achille le découvre à ses genoux, le relève avec stupeur. Pendant un instant, protégés par le sommeil de toute une armée, deux êtres se regardent. Rien ne les rattache plus aux lois extérieures, aux haines apprises. Ils inventent un moment qui n’est qu’à eux, fait d’admiration et de larmes. Des siècles de fureur machinale se précipitent dans leurs regards brûlés, et s’éteignent : en eux, l’espèce se reconnaît. Ils se taisent, se regardent, mangent, dorment. Leur insignifiance commune représente l’exact contrepoids de tout le tumulte qui a précédé.

Daniel Jeanneteau


Entretien avec Daniel Jeanneteau

Comment est né ce projet ?
C’est une commande. Le projet est né d’une proposition des Subsistances, très précise et très indéfinie : faire quelque chose avec l’Iliade et l’Odyssée, Homère. Je n’avais jamais abordé un projet de cette façon, et j’y découvre une liberté inattendue.
A commencer par la liberté de puiser, dans cette œuvre immense et multiple, la matière d’une action, d’un rêve. La liberté aussi de ne pas penser une forme à l’avance, selon son appartenance supposée à tel ou tel registre d’expression. Il ne m’ont pas demandé d’en faire un spectacle de théâtre, il ne m’ont pas même parlé de danse, ils ont ouvert un espace d’apparition, en moi pour commencer, où des figures, du temps, des émotions peut-être pouvaient s’agencer calmement.

Il se trouve que j’aime particulièrement l’Iliade, depuis longtemps. Et si je pense à cette œuvre, la première chose qui me vient à l’esprit, qui m’a stupéfié à la première lecture et qui me bouleverse encore, c’est la rencontre, dans le dernier chant, de Priam et d’Achille. C’est à dire des deux pôles d’antagonisme, des deux opposés, des deux ennemis maximums. Cela se passe la nuit, à l’insu de tout le camp Grec endormi, à l’insu de l’humanité entière, dans le silence et la douceur : trahison inouïe des ordres violents, des rancunes apprises, pure anomalie, pur geste de liberté aussi.

Ils se rencontrent dans des circonstances absolument étranges et exceptionnelles. Priam a déjà quasiment perdu la guerre, il aura bientôt tout perdu ; il quitte son palais seul, après avoir jeûné sans dormir durant onze jours, depuis la mort d’Hector ; il traverse avec un âne le paysage qui sépare les remparts de Troie du camp Grec, et s’introduit avec une mystérieuse facilité au cœur de l’ennemi. Avec stupeur Achille le découvre à ses genoux, implorant, mutique. A partir de ce moment-là commencent quelques unes des pages les plus étonnantes de la littérature mondiale.

Ce spectacle va prendre place dans la Biennale de la danse. Quels sont les rapports entre ce motif de l’Iliade et la danse ?
Je ne sais pas en quoi l’Iliade concerne strictement la danse, mais il me semble qu’il s’agit d’abord d’une histoire de corps. L’Iliade, avant la parenthèse de nuit dont je viens de parler, ce sont des corps en plein soleil qui s’agitent, se battent, se courent les uns après les autres, se désirent. Ce sont des rapports, des distances, des lignes. La guerre dure depuis si longtemps qu’elle en devient abstraite. C’est un ensemble de mouvements mécaniques, une machine vivante où le corps percé, tranché, démembré apparaît dans sa plus grande et triviale matérialité.

J’ai travaillé à extraire de l’ensemble du texte tous les passages qui décrivent l’action des armes sur les corps, en retirant les adjectifs, en calcinant les attributs qui fleurissent le récit. Reste un foisonnement de fragments lacunaires, à la violence objective et si crue qu’elle en devient presque insoutenable. Le résultat est dur, effrayant, mais conserve étrangement sa qualité de poème.

Je voudrais faire entendre cela, cette matière purifiée comme un grand bloc de lumière. Laurent Poitrenaux, avec sa précision de chirurgien, la déposera sur le corps de Thibault Lac. Puis, comme le contrepoids exact de ce qui compose la presque totalité de l’œuvre, l’instant minuscule et nocturne de la rencontre entre le vieillard et le très jeune homme, dans une succession d’actions silencieuses, un poème à l’insignifiance.

C’est dans ce rapport, dans cet échange complexe de gestes et de mots qu’apparaîtra peut-être quelque chose comme de la danse…

Il y a aussi une action de la scénographie sur le corps, puisque celle-ci sera très particulière. Comment est pensée cette scénographie ?
La grande question scénographique de l’Iliade est celle du paysage, et plus précisément celle de l’entre-deux, du non-lieu, de la zone. Tout se passe dans l’étendue qui sépare la ville retranchée de Troie et le camp des grecs sur le rivage. Il y a là une plaine sur laquelle ont lieu les combats, où coule un fleuve. C’est aussi une étendue jonchée de corps, dormants, affrontés, morts, aimants. Le travail sur l’espace portera sur les spectateurs en premier lieu, puisqu’il n’y aura pas de gradins et le public circulera librement dans l’étendue du hangar, dans lequel nous aurons répandu une grande quantité de gravats, de blocs de béton. Un espace minéral parlant de destruction, de vestiges, de disparition. Sans direction prédéfinie, sans centre repérable, le spectacle pourra venir de partout. Mais surtout il s’agira de faire sentir, dans cette banalité horizontale, la tension magnétique d’un espace inhabitable et hanté par la violence. Et de redonner, par une sorte de renversement de proportions, la mesure du miracle qui s’est produit, ce soir-là, entre Achille et Priam.


Laurent Poitrenaux / comédien
Laurent Poitrenaux est né à Vierzon en 1967. Il se forme à l’École Théâtre en Actes à Paris, dirigée par Lucien Marchal. Il a joué sous la direction de nombreux metteurs en scène dont Christian Schiaretti, Éric Vigner, Daniel Jeanneteau, Arthur Nauzyciel et François Berreur. Collaborateur régulier de Ludovic Lagarde, il a joué dans pratiquement tous ses spectacles depuis 1992, et notamment Un nid pour quoi faire et Un mage en été d’Olivier Cadiot créés pour le festival d’Avignon 2010, une trilogie Büchner présenté au Théâtre de la Ville et Lear is in Town de Frédéric Boyer et Olivier Cadiot, créé au festival d’Avignon 2013. Il a récemment joué sous la direction de Marcial Di Fonzo Bo pour Une Femme de Philippe Minyana au Théâtre National de la Colline. Au cinéma, il a travaillé avec Claude Mouriéras, Sigried Alnoy, Christine Dory, Patrick Mille, Gilles Bourdos, Christian Vincent, Sophie Fillières et plus récemment avec Agnès Jaoui dans Au bout du conte (2013), Isabelle Czajka dans D’Amour et d’eau fraîche (2010) et La vie Domestique (2013), et Mathieu Amalric dans La Chambre bleue (2014).

Thibault Lac / danseur
Thibault Lac a étudié à l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux, puis à P.A.R.T.S. à Bruxelles de 2006 à 2010. Parallèlement à ses études, il a dansé dans The Show Must Go On de Jérôme Bel (2009), et a assisté Tino Sehgal à l’occasion de son exposition au Musée Guggenheim (New York, 2010). Interprète dans Little Perceptions de Noé Soulier, A Dance For The Newest Age d’Eleanor Bauer et Zombie Aporia de Daniel Linehan, il a récemment dansé dans la pièce de Mathilde Monnier : Twin Paradox. Sur scène aux côtés de Trajal Harrel dans différents formats du projet 20 Looks or Paris is Burning at the Judson Church, ainsi que rédacteur en chef de la publication (20 Looks : XL), il a également joué en 2013 dans la pièce de Harrell pour le MoMA : Used, Abused and Hung out to Dry.

Gilbert Caillat / comédien
Professeur de Lettres dans la région lyonnaise, chargé d’éducation artistique à la DRAC Rhône-Alpes, membre du comité d’experts danse et théâtre de la DRAC et spectateur de théâtre de longue date, Gilbert Caillat a déjà joué aux Subsistances sous la direction de Karelle Prugnaud pour le spectacle Kawaï Hentaï, en 2010.