Até

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En janvier nous accueillons en résidence la création du spectacle d’Alain Béhar ATÉ, après une première session de répétitions au Studio en octobre 2011. Dans une vision unissant profondément l’écriture et la scène, Alain Béhar invente une dramaturgie de la vie intérieure qui n’appartient qu’à lui…


vendredi 13 janvier à 20h30
samedi 14 janvier à 20h30
dimanche 15 janvier à 16h
lundi 16 janvier à 20h30

Até

texte et mise en scène Alain Béhar
Compagnie Quasi

musique et création sonore Benoîst Bouvot et Denis Badault
création hypermédia  Stéphane Cousot, Benoit Delbroucq et Cherry Manga
scénographie Mathieu Lorry-Dupuy et Alain Béhar
création lumière Alain Béhar et Céline Domy
costumes Élise Garraud
administratrice Dolores Davias

avec
Denis Badault, Renaud Bertin, Mathilde Gautry, Julien Mouroux, François Tizon

avec la participation de
Dolores Davias, Hope Abramovic, Ubique, Picnolepte

coproduction : Compagnie Quasi, Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, Théâtre de l’Archipel – Perpignan et El Canal, Centre d’Arts Scéniques (Salt-Girona), dans le cadre de la Scène Catalane Transfrontalière (ECT-SCT), Studio-Théâtre de Vitry, Théâtre Garonne – Toulouse, Le bois de l’Aune – Aix en Provence ; avec le soutien du Théâtre des Bernardines – Marseille, du CNES / La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon et La Fonderie au Mans, et la participation de ConnaiSciences / le réseau des cultures scientifiques en Languedoc-Roussillon, Kawenga / lieu régional d’expérimentation arts et cultures numériques; le spectacle a reçu l’aide à la production du DICRÉAM

la compagnie Quasi reçoit le soutien de la DRAC Languedoc Roussillon / Ministère de la culture au titre des compagnies conventionnées, du conseil régional du Languedoc-Roussillon et du conseil général de l’Aude ; elle est en compagnonnage avec la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau

production déléguée : Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau


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© Denise Oliver Fierro

« Quel avenir pour la réalité ? »

C’est avec cette question en forme de clin d’œil que s’ouvre Até. Poursuivant le jeu engagé avec le précédent spectacle Mô, nous parlons dans un « poème » de « tunnels sous la réalité », de l’entrelacement au quotidien de nos vies rêvées ou imaginaires, de « technomagie » et de mythologies contemporaines.

« Le franchissement de toutes les barrières jusqu’ici consolidées et l’effervescence qui meut le corps social dans des danses tourbillonnantes aux tonalités extatiques lacèrent la carapace que les dispositifs politiques et culturels modernes ont façonné dans le sens de la sécurité, de l’immunité, du contrôle de la vie et de ses remous démesurés. Sur la scène collective se dégagent alors les rayons – images, rêves, comportements, émotions – imprégnés d’un sentiment tragique de l’existence, celui ou l’exultation et la décadence, la jouissance et la douleur, la renaissance et la mort se correspondent continuellement. »

Vincenzo Susca, in « Joie Tragique »

Il est question de « natures ».
Il est question sans discours de liberté – celle qu’on éprouve avant d’avoir à la défendre – d’équilibre et de combinaisons à venir entre réalité et virtualité. Jouant de la confusion des deux, non pas comme d’un symptôme alarmant mais en tant que possibilité de vie, en tant que « monde » aussi pour des vivants actuels. L’usage pour nous de « médias » et technologies divers côtoyant des mécanismes anodins vise à produire une sensation d’harmonie, de « naturel », de complexités paisibles, des intensités, des émotions, à en effacer la valeur ostentatoire, il ne s’agit pas de « prouesses ». Il y aura – dans un dispositif où réalité – donc – et virtualité sont confondues, dans un poème, où son et sens se côtoient – le Mythe, le jeu, la loi, le Diable et moi. Pour jouer à notre endroit d’une petite métaphysique des mutations de nos rapports à l’autre, au temps et à l’espace, des géographies complexes qui se superposent à la cartographie. Pour tenter de dire et faire parler – d’imaginer – un (des) « humain(s) » augmenté (s) de diverses extensions « numériques » et autres avatars, avec ses réflexes et comportements pluriels, modifiés par ces usages et l’idée qu’il s’en fait (ou non), encombré – ou pas – par de nouvelles potentialités d’existence, de nouveaux désirs, sollicité perpétuellement entre « faire » et « imaginer faire » par des niveaux de réalités de plus en plus enchevêtrés.

Alain Béhar


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Notes sur le texte, la mise en scène et la scénographie

1/
On trouve trace par-ci par là dans la mythologie grecque d’une divinité de «l’égarement» (déesse aussi de la «fatalité» voire de la «folie», de l’illégalité et du mouvement irréfléchi) nommée Até. Fille de la discorde.
Issue d’une division, non d’un accouplement, c’est un détail qui compte. Qui porte partout l’erreur… Une divinité néfaste chez les Grecs.
Chassée de l’Olympe par Zeus furieux pour une sombre histoire d’embrouille plus ou moins conjugale et de premier enfant héritier… lancée au milieu des œuvres des hommes… ses pieds ne touchent jamais le sol, elle plane sur la tête des humains, ses complices ou ses victimes… partout où elle s’arrête, ses pas sont marqués par le ravage et la destruction : Il ne faut plus qu’elle s’arrête et elle le sait… déesse malfaisante, odieuse aux mortels et aux dieux… n’a d’autre occupation que de troubler l’esprit des hommes pour les livrer au malheur… parcourt la terre avec une célérité incroyable, et se plaît dans les injustices et les calamités des mortels… (l’exégète lui en voulait, manifestement)
Je l’aime bien.
Les Lites, c’est à dire les Prières, ses sœurs boiteuses, la suivent de loin et réparent tardivement le mal qu’elle ne cesse de faire.

2/
Il y a d’abord un texte – post dramatique, on dit -, et puis peu à peu – comme apparaissant dans les flux – des personnages et une histoire.
L’histoire, ici ne précède pas, elle est en fin de compte.
J’essaye à ma façon de rendre sensible l’idée que naissent, au travers de flux d’informations hétérogènes, des noms, des personnages – cinq – qui peu à peu s’installent, et une « fable » presque par inadvertance qui les relieraient en fin de compte comme on rencontrerait un « nous » en route. Comme si l’identité, l’histoire venaient donc en travers et ne précédaient pas. Comme apparaissant dans la masse du texte, disparaissant à nouveau pour réapparaître, disparaître encore dans les flux, réapparaître pour finir par rester. De rendre ça sensible. Cette apparition du nom, du personnage et de la fable. Presque comme une histoire en soi. Un peu – toute proportion gardée – comme ces pièces inachevées de Michel-Ange à Florence me donnent cette sensation : des « personnages » qui sortent de la pierre.

3/
Le père. Un archi-joueur contemplatif de piano argentique et de jeux en réseau plus ou moins hacker et monsieur Loyal. Hacker comme on le disait des premiers libertaires de la révolution numérique, pas des pirates de carte Kangourou. Qui dit : « L’ineptie consiste à vouloir conclure. ». La sœur. Un(e) avocat(e) spécialiste en data mining et de « gouvernementalité algorithmique », addicte à la bourse et aux marchés, qui parle d’économie alternative et d’éventualités parfaites dans un système de prévisions complexes.
Un abbé – que j’ai pour l’instant appelé l’Abbé Migne – d’on ne sait quelle confession, encombré de métaphysique improbable, en charge entre autre chose de la question du « mal » qui dit : « Mais foutre Dieu pourquoi diable faudrait-il résoudre ce conflit ? ». L’ami « on line » et l’ami présent. Mô, qui subsiste du précédent spectacle, la mémoire faite des souvenirs des autres. En quelque sorte « moi » mais sans le « i ». Enfin la question d’un « soi » en travers. Une divinité mineure, instable et en image, moitié des mythologies grecques moitié de World of Warcraft sans doute imaginée à mesure par les cinq autres qui donne le titre : Até, qui dit : « Je vais mentir, attention je mens ».

4/
Il y a des acteurs, des gens.
On en voit (c’est ce qu’on voit) quatre qui sont là « vraiment », un autre qui est là aussi exactement dans la même temporalité mais depuis « sa chambre » et chez lui.
(On travaille comme ça avec lui et d’autres depuis le tout début du processus, nous répétons en réseau en quelque sorte.)
Ça n’est pas un effet, mais une façon d’être ensemble, c’est en tout cas ce que ça voudrait laisser entendre.
Il y a simplement un réseau de webcams installées à la fois un peu partout chez Julien et sur le plateau, des écrans ou des supports de projection chez lui comme sur le plateau, une diffusion permanente en streaming dans les deux sens, un système pour « switcher » de l’une à l’autre et des effets miroirs.
Le rôle titre, Até vit dans les projections quelles qu’elles soient, et sur tous les supports. Elle change de visage régulièrement, mêlant sur un personnage blanc « neutre » dessiné au féminin en 3D, des éléments de la pièce filmés avec des actrices pour la circonstance, des extraits de films, des détails de tableaux et des photographies, des collages divers, des avatars de jeux en réseau…
Nous travaillons par ailleurs sur Second Life avec une « buildeuse » Cherry Manga à l’élaboration d’un lieu virtuel avec lequel nous ferons également des va-et-vient. C’est-à-dire qu’on retrouvera sur Second Life des éléments de la scénographie utiles à l’histoire qu’on raconte et dans la scénographie des éléments projetés (eux aussi simultanément) de ce lieu virtuel.
Les voix qui parlent dans Até et les personnages qui y paraissent ont tous des avatars ou des pseudonymes sur Second Life, Word of Warcraft, Facebook, Myspace, Twitter…. et naviguent le plus simplement du monde d’un niveau de réalité à l’autre.
Il n’y a pas une multitude d’écrans, tous les éléments, tout l’espace qui se déplie peu à peu, tend à devenir un seul écran sur lequel les images se mêlent aux volumes.
Il y a enfin un autre qu’on ne voit pas à propos duquel la conversation tourne souvent. Celui-ci ne sort jamais de sa pièce archi connectée, on ne le voit pas mais il contribue et participe par écrit, une sorte de « chartreux » dans une contemplation qui nous échappe, si ça se trouve. Il a inventé un système logiciel en capacité d’intégrer une part d’oubli à la mémoire numérique.
« À celle de chacun seul, à celle de chacun ensemble, et à celle de l’ensemble sans personne. » Il dit. Son père, sa sœur et quelques amis – dont je suis – se demandent en festoyant à la fois ici et « on line », le soir du « nouvel an » sur trois fuseaux horaires, s’il faut « vendre les droits » de cette invention, s’il faut qu’il sorte ou non.
Ça fait du monde.

5/
Il y a seulement un cube, d’abord. Un caisson sonore – on entend comme c’est « bruyant » dedans – dans lequel tout serait contenu, un peu la boîte de Pandore, qu’on ouvre et qu’on referme. (On peut ici refermer d’un clic la boite de Pandore, ça change la donne.)
Depuis ce cube (pour origine) un monde de pixels et de tracés (il y a des lignes qui se tracent en permanence, certaines sont des fils guidés dans l’espace par des petits moteurs, d’autres sont projetées et se dessinent à vue), de formes en volume – gonflables en partie – opaques et transparentes (peuplées de plein de Soi, donc) s’ouvre à l’infini, se déplie (il y a des plis), ouvrant au passage des espaces « naturalistes » juxtaposés, combinés, toujours en devenir pour le jeu (l’intérieur d’un appartement, une cuisine, un coin de nature, le château de la reine Shawa, un café… moitiés projetés). Progressant tranquillement – dessus-dessous – jusqu’à remplir l’espace, jusqu’à la butée du cadre, combinant objets, image et dessin des objets. On dit (entre nous) un mouvement d’ajout et de décentrement perpétuel, « baroque » en quelque sorte. Il y a de multiples petites projections sur ces formes qui se confondent aux volumes sans ostentation. Sources et supports sont idéalement masqués. La sensation visée c’est une saturation douce, un mélange « parfait » et en un sens « magique » au fil du texte et de l’apparition de la « fable » entre objet, image et dessin de l’objet, qu’on puisse (par exemple) manger en famille vers la fin – l’air de rien – moitié dans un film sur une vraie table en partie dessinée avec la reine Shawa et le fantôme de mon père. Lorsque le cadre est « plein », un événement se produit, donnant la sensation d’un écrasement par le haut du plein, tassant comme des « couches historiques » et obsolètes tout ce qui est entré jusque là, pour que nous finissions par jouer sur un plateau nu en hauteur, un beau désert en quelque sorte, prolongé d’horizon dans la profondeur sur un simple cyclo.
Parmi les tâches qu’on assigne à nos ordinateurs, c’est l’effacement qui demande (consomme) le plus d’énergie.

6/
Qu’est-ce qui nous égare, au fond, quand on aime ça, s’il ne s’agit pas de se fourvoyer ? Et qu’est-ce que c’est «égaré» sans forcément s’y perdre ? Até fait systématiquement quand « ça y est » autre chose de ce qu’il y a, sans effacer. Elle parle d’abstraire et d’abstraction et de métamorphose comme de libérations.
Elle dit – elle insiste – ne pas « libérer » les choses, mais « autre chose » d’une chose quand « ça y est ».
Elle nous égare avec des «Si», fait des fausses pistes. Elle est « extravagante » au sens de l’étymologie, au sens d’un vagabondage hors des limites. C’est à chacun, au fond, et « en puissance », la potentialité incarnée. Elle est pour ainsi dire « l’émergence » pérenne en soi comme hors de soi du nouveau dans l’ancien, l’incertitude au voisinage de quoi que ce soit et en un sens « la liberté », enfin l’idée qu’on s’en fait avant d’en parler et de devoir la défendre le cas échéant. Até protège – comme on le dit pour les marins en mer – les ouvriers insensés que nous sommes de la contrepartie conforme.

7/
Je suis curieux de l’endroit d’humanité où sont les gens – j’en connais – qui « disparaissent » chez eux des semaines, des mois des années immergés dans des mondes virtuels. Ça me plaît de penser – certains jours, certains autres c’est plus confus forcément – qu’ils seraient une sorte d’avant-garde du temps en marche, des pionniers en quelque sorte. Je suis curieux des communautés virtuelles de solitaires, de ce qui charge le présent de temporalités parallèles, de « tunnels sous la réalité », de la place du corps
du sexe et des fantasmes dans tout ça, des avancées empiriques de la loi pour borner ces usages ou en contraindre la valeur, de ce qu’en pensent la morale et les églises… Enfin de toute sorte de choses – beaucoup trop de choses – sur ce terrain-là qu’à la fois nous habitons et qui nous contient. C’est truc de rêveurs, sans doute.

Alain Béhar


Alain Béhar

Après une période (notamment au Théâtre de l’Est Parisien) où il met en scène Goldoni, Marivaux, Sélim Nassib, Bertolt Brecht, Ödön von Horváth, Arthur Schnitzler ou encore J.D. Salinger et Maurice Blanchot, Alain Béhar se consacre, à partir de 1998, à la mise en scène de ses propres textes.
En 1996, Didier-Georges Gabily devient son « parrain d’écriture » en l’invitant à une « résidence de compagnonnage » initiée par le CNES, Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Il y écrit Comment ouvrir le volet pour voir le tableau en entier. Ce titre est révélateur de la démarche d’Alain Béhar : ses recherches, tant textuelles que scéniques s’inscrivent à la croisée de plusieurs disciplines : théâtre, arts plastiques (performances, installations, expositions), chorégraphie, etc. Il s’agit toujours de proposer des contrepoints pour faire émerger une forme ouverte qui trace des perspectives et offre des trouées, le sens circule sans jamais se figer dans un discours clos.
En 1998, Alain Béhar revient à la Chartreuse où il prend en charge la rédaction du Cahier de Prospero n°9. Il y finalise également le projet débuté en 1996. Le texte se décline alors sous la forme d’un spectacle en plusieurs volets : Monochrome 1234, Monochrome 567, Monochrome 8 à 15.
En 1999, boursier du CNL, Alain Béhar part en résidence trois mois à Montréal où il écrit Bord et bout(s).
En 2001, il obtient une bourse de la Villa Médicis Hors les Murs et part dans les Balkans afin d’y écrire Tangente.
Parallèlement, il répond à des commandes d’écriture : d’Yves Gourmelon et Le Chai du Terral (La Pierre fendue, 1997), de Gare au théâtre et Denis Lanoy (Grand travers, 1998), d’Yves Reynaud et Yves Gourmelon (Et(é), Manifeste potentiel du mouvement, 1998), de la chorégraphe Muriel Piqué (Solillogues, 2001) ou encore de la Compagnie Eclats d’Etats (Je vais, 2000).
Avec sa compagnie Quasi, il crée quatre pièces depuis 2003 : Sérénité des impasses* 26 sorties du sens atteint en 2003-2004 ; Des Fins (épilogues de Molière), une variation avec les 33 fins des 33 pièces de Molière, en 2005-2006 ; Manège en 2007-2008 ; Mô en 2009-2011.
Ses spectacles sont présentés au Théâtre des Bernardines à Marseille, au Théâtre de la Cité internationale à Paris, au Festival d’Avignon, au Théâtre Garonne à Toulouse, au TNB à Rennes, au Quartz de Brest, aux Subsistances à Lyon, au Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, à L’Échangeur à Bagnolet, à la Scène Nationale de Dieppe, au Théâtre de l’Université Paul Valéry à Montpellier… Il intervient par ailleurs régulièrement dans des contextes de formation, dans des écoles et à l’université.